Je l'avais repéré, ce gros œuf dans le nid de ma pomponnette préférée.

Sur le coup je m'étais rengorgé, prenant à mon compte ce surcroît de gloire quantitative. Fallait-il que je lui aie bien bourré la spermathèque pour qu'il en sorte une énormité pareille ? Aujourd'hui, sachant ce que je sais, à savoir que cet œuf n'était pas de moi, qu'il a été déposé perfidement par cette pourriture de patron au cul d'une de mes petites, que c'était un œuf étranger au poulailler, un œuf 7 fois maudit de la race limousine à sélectionner en priorité pour les éliminatoires, un œuf qui sentait sûrement le vomi fermenté, un œuf que j'aurais dû piétiner, lapider, gober, offrir aux rats ?

Cette putain de brouillade potentielle en coquille, ha vanitas vanitatis, un bon petit avortement psycho-thérapeutique en forme d'omelette et je serais resté peinard sur mes terres, le Grand Blanc qui fait l'entretien courant de son modeste harem, à l'abri de toute concurrence.

Bon ça c'est le passé, et mon présent il est pas joli-joli, moi je vous le dis, quel gâchis, une entreprise si saine, Ô mon dieu que j'ai honte, c'est dur de ne plus être quand on a été, je souffre d'une vraie souffretance, que celles de Yaël, d'Abs et de tous les autres palestiniens c'est de la gnognotte, en comparation...

Quand ce con d'œuf a éclos, il en est sorti un vraiment beau petit. Ici, c'est pas du tout une ferme d'engraissement, la croûte il faut se lever un maffre comac pour se la gagner, la distribution de grain elle est symbolique et on est plutôt habitués à des petiots rastègues et maigrichons. L'autre, là, ( Ô putain il m'a lancé son regard numéro 7, ça va barder pour mon matricule ), c'était un vorace, il profitait superbien, il piquait la part de ses frères et sœurs, un vrai coucou, en 1 mois il était déjà gros comme sa "mère", en fait, c'était pas sa vraie mère, vous avez compris, sa vraie mère ça devait être la mère Denis avec des plumes ?

Bon un coq ça s'occupe pas trop de l'éducation des poussins, mais quand il y a eu "la présentation de la nouvelle couvée au reste du poulailler", moi et le petit rouge on l'a pris entre pointes pour lui expliquer la vie provençale, à l'autre Géant du Mont Faillon. Il a vite compris qui c'étaient les chefs. Bon, Petit Rouge, je l'aime pas, c'est vrai, mais il est comme moi, il a du sauvage dans les veines. Petit, mais teigneux. C'est pas un grand dadais tout mou qui va faire sa loi ici !

Je vous dis pas le bizutage. Systématique et minuté. On lui a tout fait. Après être passé entre nos pattes, il connaissait les moindres techniques de l'humiliation. Comment casser un coq. Comment anihiler dans sa tête quasi creuse toute velléité de faire son malin. D'ailleurs on a un peu déconné car ça a été un peu lui donner le bâton pour nous faire battre plus tard. Il avait droit à rien, on se relayait pour lui foutre les chocottes. Pendant qu'il tremblottait en surveillant de loin l'un de nous, l'autre arrivait par derrière et le faisait bondir de terreur et filer en courant. On le laissait pas s'approcher du blé, et pourtant il continuait à grossir, ce con ! Il était gros 4 fois comme nous mais il filait doux sans demander son reste dès qu'on haussait le sourcil. Les poules, il fallait pas non plus qu'il s'en approche. À deux, on lui avait bien rentré dans le crâne la règle numéro 1 "Tes couilles, qu'à faire joli sur la photo que le patron il a promise à Calune, ne serviront". Pas plusseu, pas moinsseu... Quand tu croises une poule, tu lui dis "Excusez-moi Madame de vous avoir dérangé, je ne vous importune pas plus longtemps". Quand tu nous croises, tu prends l'air angoissé, oui comme ça, très bon, t'es un marrant, toi, et tu files ventre à terre à au moins 20 mètres !

On l'a harcelé comme ça pendant deux ans. Nous on rigolait, on l'appelait le plus grand des nuls, ça nous sciait qu'on arrive à l'impressionner alors qu'on devait lever le bec pour le regarder. Bon d'accord : grand ou petit, du coin ou d'ailleurs, c'est vilain de passer à tabac un poulet, à moins d'aimer le paradoxe. Bref. Il est sans doute écrit quelque part que tout Eden inclut sa propre fin, ne serait-ce que dorénavant, en le tapant dans Google, ben on tombera sur Blogbo.

Un matin le gros coq se réveilla de mauvais poil. Il devait en avoir ras le panache de toujours courir, c'était crevant, à force. Je me mets à lui faire les gros yeux, pour ne pas manquer à la tradition, à lui mimer un retourné d'ergot dans la tronche, il bronche pas, ce ouf ? Ha tu veux faire mumuse, que je lui dis, je vais me faire un petit entraînement, tu vas me servir de punching ball... Mais il reculait pas, l'enflure ! Et puis sa taille ? Il avait juste à frapper du bec de haut en bas, alors qu'il fallait que je saute en l'air ? Bon, technique galvaudée, j'ébouriffe mes plumes pour paraître plus gros, j'écarte à moitié les ailes, mais tu parles qu'il savait pertinemment mon gabarit de porte-plume. Ma crête se violaçait foncé de colère mais je sais pas, il s'en foutait, il avait pris THE décision of sa vie, c'était se battre ici et maintenant, ou bien se contenter ad libitum d'une vie mouisée.

Et ça je le sentais, ô oui putain je le lisais dans ses yeux son mental déterminé, ce regard bovin de débile agréé ne pouvant contenir qu'une seule idée à la fois, oui mais cette idée c'était : "Cherche pas, t'es mort !"

Ahouille !! J'ai pris son grand bec sur le sommet du crâne, il veut me trépaner ou quoi ? Ben oui : les oreilles, l'œil, il me picore la tête à toute berzingue, ça doit être bon, je bat des ailes, il s'en fout, il continue, bon ça va un moment mais les meilleures choses ont une fin, je me tire, j'ai ma pâtée sur le feu. 'tain, il m'a saigné, l'obèse, j'en ai plein les yeux, j'y vois plus rien. Ha si, il s'en prend au petit rouge, maintenant ?

Mais c'est la révolution ?

J'ai tenté le tout pour le tout, je suis retourné à l'attaque. Il m'a fini, vidé, liquéfié, lessivé, essoré, déchiqueté. Maintenant quand j'entends son cocorico de frimeur, je réflexionne plus. Tous les traumatismes me remontent sous forme d'images horribles sanglantes insupportables, je baisse la tête et je fuis, le bec au ras du sol, droit devant, mur ou pas mur, roncier ou pas roncier, je fonce, je reste pas là.

Je le souhaite à personne, ce qu'il nous fait subir. Ouais j'en entends qui disent : "Bien fait !", mais je suis pas d'accord, j'ai pas été élevé pour vivre ça, j'ai pas l'habitude, je vous jure que je souffre à donf, que la souffrance de Matthieu , c'est un orgasme, à côté, moi la souffrance de Matthieu, elle me fait rigoler mais il faut pas trop que je rigole, j'ai pas encore bien cicatrisé.

Si je cicatrise un jour.

Quelle vie de fiente ! C'est dur d'être dans l'opposition...