Près du stade des Italiens, dont au sujet duquel j'vous ai déjà causé (j'ai dû être prof de Français dans une autre vie), donc près de ce stade, courait un genre de ru, que l'on nommait : "la mare aux grenouilles". Des grenouilles, curieusement, je n'en ai jamais vues, dans ce ruisseau large d'environ un mètre ou un mètre cinquante, bordé d'aulnes et de joncs.

Par contre, il grouillait littéralement de tritons, tu sais ces "lézards aquatiques", bruns, le ventre un peu jaune, parsemé de petites taches noires.

Et puis aussi des épinoches, ces jolis poissons, magnifiques au moment du frai, les mâles deviennent rouges sous le ventre, un peu verts sur le dessus.

Parfois, le jeudi après-midi, on s'y rendait, vingt minutes à pieds en ne traînant pas trop.

Le matin, on s'était mis d'accord : "Bon, c't'aprèm, on va à la mare aux grenouilles"... Ouais !

Alors on confectionnait les épuisettes dans la cave paternelle, on y était peinards ! Ma mère me fichait une paix royale, une tite engueulade quand je passais les bornes, une tite beigne quand je franchissais les limites, mais pas plus... Normal quoi !

Dans cette cave, des trésors : outillage, fil de fer, clous, vis, ficelle, piquets servant pour les pieds de tomates, etc... Vachement heureux le Papa quand, en rentrant le soir, il retrouvait tout ça pêle-mêle dans le jardin !

Pour fabriquer une épuisette, ça n'est pas compliqué : un fil de fer assez rigide, roulé en cercle, vingt centimètres de diamètre environ, laisser dépasser les deux extrémités, une fois le cercle terminé, demander un vieux bas à Maman, puis le coudre autour du cercle, ligoter soigneusement avec de la ficelle les deux extrémités sur un piquet de "tomatier" (quand ma petite fille avait trois ans, elle appelait ainsi les pieds de tomates), et voilà une magnifique épuisette !

Le déjeûner avalé vite fait : la rue, coup de sifflet voyou pour appeler les copains... Ma mère avait cela en horreur, qu'est-ce- que je me suis fait engueuler ! Et nous voilà partis.

Imagine le tableau, les têtards, neuf ou dix ans, épuisettes sur l'épaule, culottes courtes découvrant nos genoux cagneux, chaussettes tire-bouchonnées, une boîte de conserve à la main ou un bocal, dans l'espoir de rapporter nos proies vivantes à la maison. Lance-pierres en poche, pas trop pour les piafs, mais les lampadaires...

Quelle joie, quand après avoir soigneusement visé une grosse ampoule, pendue tout en haut d'un lumignon, caoutchoucs tendus à mort, tu lâches le barnum et, avec un peu d'bol, PLOUTCH ! L'ampoule se volatilise, OUAHH... Se barrer vite fait, si par malheur "un vieux" sortait de chez lui... Mais va rattraper un gamin de dix ans à la course !

Les lance-pierres, j'aimais bien les fabriquer, une jolie fourche prélevée dans un arbre, ce qui se présentait, pour les élastiques : une vieille chambre à air de vélo, ou bien des élastiques de bocaux à conserves, tu sais, les rouges qui assurent l'étanchéité.

Ma mère faisait des conserves, comme beaucoup à l'époque, haricots verts, petits pois, pêches, abricots... Tout ça poussait dans les jardins : l'été, ma mère n'achetait pratiquement pas de légumes.

Revenons à notre lance-pierres. Pour se procurer le petit morceau de cuir destiné à recueillir les projectiles, un truc terrible : Les languettes des galoches, le rectangle de cuir destiné à assurer l'étanchéité des chaussures, juste sous les lacets, on coupait une languette, parfois les deux, ça servait pour un copain, quand en nettoyant mes pompes ma Mère découvrait le massacre... Aîe,aïe, aïe, la volée, pas volée (j'ose... OUI). Mes mômes n'en ont pas fait la moitié, quand ma mère leur racontait ça : la honte...

On arrivait au bord de la mare, aussitôt on observait la surface, et dès qu'un triton pointait son museau pour venir aspirer sa goulée d'air frais, très vite on plongeait l'épuisette, afin de remonter victorieusement notre prise ! Nous en attrapions pas mal, les gamelles et bocaux grouillaient bientôt de bestioles.

Un jour, il faisait gris et pas bien chaud, il avait plu, un de mes copains, Michel que l'on appelait "biglousse" tout ça biscotte il avait un oeil qui cuisait le poisson, et l'autre : "Attention le chat" ! Les mômes sont cruels parfois... Enfin toujours est-il qu'il glisse, après s'être un peu trop penché. Plouf à la baille ! Ça n'était pas très profond, il avait de la flotte jusqu'à la ceinture (dans la mare aux grenouilles, il aurait pu avoir de l'eau jusqu'aux... Je sais) enfin pas de quoi appeler le SAMU.

On le tire par les bras, il sort de la flotte en claquant des dents, tu penses il caillait vilain, il chialait, non pas qu'il s'était fait mal, mais en prévision du festival de claques dans la gueule que son paternel n'allait pas manquer de lui coller en rentrant !

Eh bien notre premier réflexe a été de lui fouiller les vagues, histoire de regarder si, par bonheur, dans sa chute, il avait ramassé des tritons !

Il s'en est bien remis, je l'ai revu souvent, c'est devenu un grand gaillard, père de famille, le bain forcé ne lui avait même pas gâté les coucougnettes !

Sur le chemin du retour, nous comptions les prises : j'en ai onze ! moi quatorze ! mate le gros, vachement balèze. Tout fier je montrais ma pêche à ma mère, petite moue dégoutée : "laisse ça dehors, j'en veux pas à la maison", alors je posais le bocal sur une étagère à la cave, le lendemain matin, les pauvres bestioles avaient toutes le ventre en l'air ! On n'était pas trop écolos à l'époque.

Et puis, une année, il a fallu que j'aille au "caté", ah la vache ! Tu penses, mes potes, pas trop "curetons", ils n'y allaient pas, EUX ! Moi, ça me faisait tartir, j'gueulais quand, à deux heures, je devais quitter mes jeux, les potes, pour aller à pinces à l'autre bout de Drancy écouter la bonne parole.

Un jeudi, alors qu'il faisait un temps magnifique, mes copains décidèrent d'aller à la mare aux grenouilles : "Allez viens, laisse ton cureton", moi vachement emballé par les choses mystiques, missel sous le bras, me voilà parti pour la pêche miraculeuse.

Après tout, je ne faisais que vérifier in situ si le miracle pouvait se reproduire !

Je rentre à l'heure habituelle à la maison : comité d'accueil...

- T'étais où ? interroge ma mère.

- Ben au caté, tiens !

La beigne ! Menteur ta soeur ne t'y a pas vu.

Ah merde, la frangine (quinze mois de plus que moi) finissait son cours quand le mien commençait et, ne m'ayant pas vu, elle s'était inquiétée. Elle aurait su que je faisais "la bleue", je pense qu'elle n'aurait rien dit, solidarité de la fratrie !

Eh bien tu vas aller t'excuser, déclare l'inflexible. Nous voilà partis, moi traînant les pieds, comme t'imagines. On arrive, le curé nous accueille, un brave Auvergnat, gentil, pas chiant, qui faisait ce qu'il pouvait avec sa vingtaine de turbulents du jeudi !

Evidemment, il a un peu froncé les sourcils, mais je crois qu'à peine les talons tournés, il a dû se marrer ! Quant à moi, cette petite leçon m'a dissuadé de faire à nouveau "la bleue".

Il m'arrive encore de passer devant ce qui était un endroit fabuleux pour des mômes, j'ai un copain qui habite dans le coin, et j'assure qu'à chaque fois il y a comme une boule qui monte dans ma gorge en voyant "LE TAS DE MERDE" - et il n'y a pas d'autre appellation pour ce qui a été construit au lieu et place.

Il faut loger les gens, certes, mais tout de même ce sont les plus modestes que l'on "remise" dans ces horreurs, ça ne suffit pas d'être pauvre, en plus il faut ajouter la promiscuité, supporter la laideur.

Je me remémore ce qui était et je me dis que nous avons eu la chance de pouvoir vivre une enfance comme celle-là, nous n'avions pas beaucoup de jouets, vraiment très peu, pas de Ninten-machin-chose, ni de game-truc-bazar, pas davantage de télé, mais les copains, les tritons, les lance-pierres et la rue, ça remplaçait avantageusement.


Dessin Andiamo 2008