J’avais onze ans, l’âge des chaussettes tire-bouchonnées, des genoux couronnés, des tifs rétifs, surtout les miens frisés comme ceux d’un Rital ! J’avais une sainte horreur du peigne, il faut dire que : démêler des bouclettes… AÏE, AÏE, AÏE !

Cette année là mes parents décident de m’envoyer en colo !

Rendez-vous pris avec les services compétents de Drancy, visite médicale et tout le toutim. Sérieux les vacances : on ne badinait pas avec la santé !

Le verdict tombe : il est un peu nerveux le garenne, l’air de la mer ne lui conviendrait pas ! Tiens… Pourquoi ? Par contre Doulaincourt (Haute-Marne) fera parfaitement l’affaire.

Début Août, nous voilà tous rassemblés place la mairie, ma mère, mon père absent : il travaillait, pendant ses vacances afin de nous envoyer au grand air. Ma sœur, mon frère, présents pour les « adieux » au petit frère, ils s’étaient cotisés afin de me donner quelques sous pour mes dépenses de première nécessité.

Tu penses dans des régions aussi reculées, pas sûr qu’il y ait de quoi survivre, alors il valait mieux prévoir… Adorable fratrie, toujours prête à en découdre, mais devant l’adversité : un pour TOUS !

Deux énormes autocars nous attendaient, fumants, pétaradants, le gas-oil bien odorant… Ca sentait déjà les vacances ! J’ai lu dans un ouvrage fort bien ficelé, traitant de la grande et la petite histoire de Drancy, que les premiers départs vers ces colos, s’étaient faits à bord des bennes à ordures !

Non pas les camions fermés avec système de compactage, comme les engins d’aujourd’hui. Mais de simples camions-bennes, qui pour l’occasion avaient été lavés puis désinfectés. Des bancs de bois (sans doute fixés ?) Sur lesquels les colons s’asseyaient bien sagement.

Non mais vous voyez ça aujourd’hui ? Il est vrai que les routes étaient quasiment désertes, les véhicules pas très rapides, transmission par chaînes latérales, j’en ai connu, mais oui… Le (a) premier(e) qui gueule : dinosaure, je le(a) bouffe !

Derniers bisous, la p’tite larmichette que l’on essuie bien vite… Una lacrima su l’viso. Et en route !

La joyeuse ribambelle, quel raffut ! Tous les mômes chantaient : biblitower, biblitower, bibli. C’est du moins ce que je croyais comprendre, une cinquantaine de braillards qui gueulaient à tue-tête : plus vite chauffeur, plus vite chauffeur, plus vite… Sur l’air des lampions, va comprendre les paroles ? L’air par contre, ça allait

Après plusieurs heures, moult arrêts pipi, nous arrivons.

Un grand bâtiment en forme de « U » à gauche les filles, à droite les garçons, au centre le réfectoire.

Petite collation, puis distribution des vêtements, chemise écossaise pour les garçons comme pour les filles, shorts bleu marine, pour tout le monde.

On nous présente notre mono, un grand gaillard un « vieux » de 25 ans environ, mais quand tu as onze ans, vingt cinq c’est : PFOOOU ! Il se présente :

-Je m’appelle Jacques, puis à tour de rôle nous déclinons notre petit nom.

Il y avait un rituel, avant chaque repas nous restions debout et nous chantions, je m’en souviens encore :

-Bon appétit le matin n’est pas signe de chagrin

Il faut boire et bien manger

Pour avoir bonne santé

Le midi c’était : Bon appétit le midi n’est pas signe de dépit. Enfin le soir : bon appétit le soir n’est pas signe de … Désespoir : Gagné !

Ca avait le mérite de calmer un peu les enfants, la nourriture était excellente, j’ai gardé un très bon souvenir de ce réfectoire.

Les douches… Prises en commun bien sûr, une rampe avec de multiples pommes vissées à même le tuyau. Tout l’monde à poil, et là SURPRISE : un de nos potes avait du poil au-dessus de sa quéquète !

Non mais tu te rends compte ? Une touffe toute frisottée, nous vachement surpris, avec nos bouts d’mastic, collés comme ça, et lui…. Passée la première fois, nous n’avons plus fait gaffe.

Bien longtemps avant nous, les colons avaient construit un village, plusieurs maisonnettes en rondins de pins, ce village s’appelait : « CETANOULAVILLE ». La plupart de nos activités s’y déroulaient : jeux de piste, balle aux prisonniers, etc…

Ceux qui sont allés en colo le savent : dans chaque colo il y a à proximité : la maison du pendu, ou bien la maison hantée ! Mes enfants qui ont goûté les joies de la colonie, me l’ont rapporté, pour eux c’était : la maison de l’albinos ! Bien sûr pas plus de pendus, que de fantômes, et pas plus d’albinos que de cœur dans la poitrine de ton banquier !

Un soir au cours du séjour, une grande chasse au Dahut était organisée. Qui n’a pas, armé d’une casserole et d’un bâton en guise de tambour, carillonné de longues minutes ? Tenant un sac à portée de main afin de saisir le mythique bestiau ? Hein qui ne l’a pas fait ?

Quelle patience ils avaient ces monos, douze « turbulents » à surveiller. Le jour ou nous sommes allés à la pêche ! Il a passé l’après-midi à démêler les lignes, nous sommes rentrés bredouilles bien entendu.

L’un de ces monos était un grand noir, avec une jolie voix de basse, parfois il nous chantait : old man river… Putain j’en avais des frissons ! C’est bien sûr là que j’ai commencé à vouloir jouer de l’harmonica, un engin tout mâchouillé prêté par un copain, sur lequel je m’étais efforcé de jouer : étoile des neiges, ne vous marrez pas à l’époque c’était un tube. Tout ce que j’ai réussi à faire : me couper les lèvres.

Le mois écoulé, moins gai le retour. Les échanges d’adresses entre copains, auxquels on n’écrira jamais. L’arrivée sur cette même place de la mairie, mes parents ma sœur, mon frère m’accueillent, c’est bon de les retrouver, la larmichette, laisser de si bons copains… Un véritable crève-cœur !

Mais un souvenir tenace… C’était il y a soixante ans… Déjà !

Mon épouse avait également goûté aux joies de la colo, et nous en avions gardé un tel souvenir, que nous y avions envoyé nos enfants également. Il faut croire que le virus est transmissible, car mes p'tites fillotes partent également en colonie, et en sont ravies ! Il faut dire que c'est une excellente école de l'apprentissage de la vie en société.

Je serai absent au moment de la parution de ce billet (je repars en vacances !) Si vous me faites le plaisir de laisser un commentaire, j'y répondrai dès mon retour... Merci.