Y'avait un bail. Les trop récents nouveaux commentateurs ne l'ont pas connue, mais j'avais amorcé il y a plus de six ans une série rurale genre "Le grogneur est dans le pré" dont vous pouvez trouver les premiers épisodes ici et puis là aussi

Sacré Ploux.

Hier soir, donc, c'était "Apéro des voisins".

Je me rappelle plus quel est le grand couillon qui en a eu l'idée en premier mais c'est le Jacquot de la Bastidonne qui m'a téléphoné la date, la semaine dernière. "Tu comprends, Ploux, on se voit qu'aux réunions professionnelles et aux enterrements, on pourrait essayer un truc plus sympa", qu'il a dit, "... et nos bazarettes pourront tchatcher ensemble, qu'elles se voient jamais ?"

Présenté comme ça, c'était tentant, mais... bon.

On devait s'amener avec "quelque chose" et j'avais choisi un beau Mathusalem de notre vin de garage. Cette bouteille de six litres étant appelée ainsi car qui en boit un par jour vivra très âgé. Et comme on est pas des rats, on avait dépendu deux, non : trois beaux saucissons, secs à point. On débarque, tous les consanguins et guines étaient arrivés, l'œil déjà bien allumé et le verbe fort. Sans perdre de temps en salamalékoums inutiles, je sors mon Laguiole "sommelier" et je fais retentir le doux bruit du bouchon qui n'en peut plus de se retenir de péter. Je remplis "pas plus haut que le bord" quelques verres qui se tendent, puis les nôtres, et, tout en me bourrant le pif d'odeurs puissantes et pinardières, je tends l'oreille aux avis des collègues dégustateurs.

'tain, les nuls ! Les opinions vont de "Je recrache aussi sec" à "Je vide mon verre dans le bac à fleurs" en passant par "C'est gentil d'avoir porté la vinaigrette" ! Je le crois pas. Un vin élevé avec tant d'Amour, objet de tant d'attentions ? Un nez époustouflant, une bouche épatante, un fond de gorge hallucinant...

"Vous n'y connaissez que dalle, bande d'assassins ; ah, passer le pulvérisateur quand le conseiller viticole vous téléphone de le faire, c'est à dire quarante fois la saison, ça : d'accord ! Facile : il est toujours attelé et avec vos rampes qui prennent dix rangées à la fois, c'est vite fait... Désherbants, engrais en pagaille, anti-ci, anti-ça, quand vous amenez vos raisins à la coopé, le jus il mousse comme si on avait trop mis de mini Mir ! Votre copain l'œnologue en remet une couche avec ses analyses, ses mixtures, ses cocktails du diable à odeur de soufre et voilà : un verre du résultat me donne la cagagne pour la semaine..."

"En fait : toutes vos drogues chimiques, vous y êtes accros et avec mon vin entièrement naturel, vous vous retrouvez en manque !"

L'ambiance était lancée, les regards se durcirent et ils se resservirent tous un jaune, couleur fédératrice entre toutes, dans notre beau pays du soleil. Ma douce coupa fin-fin un des saucissons et fit tourner la planche.

"Ho Robert", attaqua le Titin, un des viticulteurs les plus "modernes", "c'est bien ton mâle reproducteur, qu'on est en train de manger en tranches, là ? Tu me disais l'autre jour que tu savais pas quoi en faire, que la viande d'un mâle entier aussi vieux était immangeable et que personne en voulait ? Je suis content pour toi : tu as réussi à trouver un pigeon qui aime l'odeur de pisse !"

"Ah Titin mon Titin, tu ne sais pas tout ! Je vais rester discret sur le prix ridicule que je l'ai payé mais je peux te dire que je suis content de l'affaire : il n'était pas gras du tout et pour le goût, nous les Ploux on aime les produits qui ont de la personnalité. On est pas des chochottes citadines comme j'en connais..."

"Là, c'est vraiment les mouches à merde qui se moquent de l'écurie ! C'est pas toi, Ploux, le plus beau néo-rural bobo du canton, qui cherche à te faire passer pour un vrai paysousse, quand même ? Tu sais peut-être pas qu'on t'appelle "Monsieur le Marquis", dans le quartier ??"

"Mais, Noun de pas dieu, regarde comme tu te nourris, Titin ! Ta grand-mère doit se retourner dans sa tombe à chaque fois que t'ouvres une boite de cassoulet ! Ton congélateur est plein de plats cuisinés Agrigel et ton apéro, c'est "cacahouètes et Bâton de berger" ! Tu fais plus ton jardin, t'élèves plus ni poules, ni lapins et même l'amandier de ta cour, tu le récoltes pas car il faudrait casser les coquilles ? T'es devenu un gars de la ville et pis c'est tout."

"Même le thym et le romarin, tu les prends chez Ducros !"

Bon, c'est là qu'on a commencé à s'attraper par le pull et à se secouer, que les autres s'en sont mêlés, un peu pour aider l'un ou l'autre, un peu pour nous séparer, et puis tout le monde est parti chacun de son côté dans son chez soi en se lançant divers noms d'oiseaux pas valorisants.

Attendez, ça va me revenir, le nom du génie hors-concours qui a eu cette sublime idée d"apéro des voisins" !