Il ne vous aura pas échappé que je ne sais rien refuser aux tenanciers de ce blog protéiforme (j’aime bien ce mot, ça fait toujours bien dans une conversation, essayez, vous verrez. Ca en jette. ) Bref, après la Baie de Somme de l’Ancêtre (vous noterez la majuscule déférente) on me somme d’écrire ma Baie des Anges. Je m’exécute avec d’autant meilleure grâce que ce n’est quand même pas une corvée.

Mes origines en patchwork me font balancer comme un métronome entre deux fougues : Italienne du côté de ma mère et Irlandaise du côté d’un copain à mon père. (Meuh nooon, papa, je plaisanteuh ! )

Bref cette double tare fait que j’ai la tête près du bonnet (phrygien), toujours prompte à m’enflammer au propre comme au figuré, un tempérament de feu, à côté duquel les éruptions du Vésuve ne sont que des pétards mouillés un quatorze juillet pluvieux sur la plage de Malo-Bray-Dunes.

Ce grand préambule (de savon) pour vous esspliquer pourquoi on peut avoir comme ma moman des ancêtres italiens, de l’époque où Nice et la Savoie n’avaient pas encore été l’objet du Traité de Turin, tout en étant une Niçoise pur jus. Elle pratique encore couramment le Nissart, et parle avec ce délicieux accent remis au goût du jour par Mado la Niçoise, et qui n’a rien à voir avec les autres accents du sud. J’ai grandi en croyant que ses expressions étaient comprises par tous, du nord au sud de l’hexagone. Comme par exemple « j’en ai une fourre ! » qui signifie « je suis fatiguée, j’en ai plein le dos ». Ou encore « Celle-là de ficanasse ! » pour parler d’une qui se mêle des affaires des autres. Ou pour parler d’un type pas riche, « celui-là, il a pas quatre sous pour faire baler un gari » ce qui peut se traduire littéralement par il n’a pas d’argent pour faire danser un rat…

Je vous laisse imaginer mes premiers dialogues avec les copines en arrivant à l’école communale dans la ville de garnison où je suis née, grâce aux aléas de la vie d’artiste de mon père…. Forte des enseignements de ma mère, sur le quai de Rauba Capeu, par exemple, je n’ai jamais fait l’erreur que font les « estrangers » en le traduisant par « robes et chapeaux ». En réalité, le vent y est si fort qu’il vole le chapeau.

Ma mère me racontait aussi l’histoire de cet Anglais qui demandait à un Niçois « Do you speak English ? » et qui répondait « Noun, you aspeto lou tram » ce qui voulait dire, non, moi, j’attends le tram. Tram qui refait son apparition après avoir été supprimé…souvent hommes varient ! Segure que vaï ! D’ailleurs, ma mère connaît tellement d’histoires, parfois je me dis que je devrais les écrire avant qu’elle s’en aille.

Nice est comme une jolie femme, son collier de perle brille le long de la Promenade des Anglais, elle semble un peu prétentieuse sous ses beaux atours, mais elle recèle des trésors bien cachés à ceux qui savent lui parler gentiment. J’y ai connu d’insouciantes vacances sur les gros galets ronds de la grève, bercée par le parfum du mimosa de la bataille de fleurs, au Carnaval. J’aime encore me balader Rue de France et arpenter le Boulevard Carabacel où mon père et ma mère se sont connus, d’après la légende…

Dépassez donc le stade du Japonais moyen, qui va rester des heures sur la place Masséna, la Prom et l’Avenue de la Gare devenue Jean Médecin (A Nice, pour qui vos tétons ? pour mes deux seins, ha ha, la vieille blague qui circulait au moment des élections !) et laissez-vous embarquer dans le vieux Nice, où, si vous évitez les restaurants –pièges-à-touristes du Cours Saleya, vous pourrez déguster à des adresses un peu secrètes les fameuses spécialités niçoises.

La vraie salade, avec les olives de Nice, toutes petites, et marron clair, le vrai Pan Bagna,(sans concombre !) les beignets de fleurs de courge, ou de fleurs d’acacia, la pissaladière, la ratatouille et l’inénarrable socca, sorte de galette de pois chiche qui se déguste grillée comme un péché avec un verre de rosé. Et puis, les panisses, les gnocchi, les ravioli, les cannelloni maison et surtout, les petits farcis. Tomates, courgettes rondes, aubergines, poivrons, pommes de terre. Tout se farcit à Nice. Bref, rien que d’y penser j’en pleure tellement c’est bon.

Pour digérer vous pouviez aller faire un tour aux Arènes et jardins de Cimiez pour écouter un concert de Jazz. Je parle à l’imparfait, car hélas, ce lieu magique, vestige gallo-romain qui donnait à la musique une poésie étrange a cessé d’exister, au nom de la sacro-sainte « rentabilité », sous prétexte de la non moins sacro-sainte « sécurité » on ne sait jamais, c’est vrai qu’on n’est pas à l’abri d’une fracture du coccyx sur les vieilles pierres deux fois millénaires… En 2010, ce fut un dernier concert bien nostalgique, entaché par cet arrêt de mort prononcé par la Mairie.

La Mairie…ciel, je ne sais pas si j’en parle ! Les vieux Niçois, eux, (mais il n’y en a plus guère) pleurent de voir leur ville devenir la proie des ambitieux, des snobs parvenus et des promoteurs et, n’ayons pas peur des mots, mais ayons peur des maux, de la voir glisser peu à peu vers le bord extrême où il vaut mieux être riche, blanc et en bonne santé que pauvre noir et malade. Chiotti et Estrozizi ont bien compris le truc ; ils se servent de la splendeur de la Baie pour servir leurs appétits démesurés de pouvoir. Nice, tremplin à ministres…A sinistres, oui !

Et pourtant, dans mon cœur, Nice restera Nissa la Bella, éternellement. C’est une ville qui me rend belle. J’y suis bien, elle s’accorde à mon teint et à mes yeux. Et souvent, écrivis-je un jour, je me prends à rêver de Nice, ma ville phare, mon étape, mon escale depuis toujours. Nice de mon enfance, son collier de perles, ses eaux turquoises, son marché aux fleurs. On est à une ville comme à ses souvenirs, attaché à jamais par des liens invisibles et puissants. Et on y revient par intermittence jusqu'à ce qu'un jour, enfin, on décide de s'y retirer pour son dernier face à face avec la vie. Je sais que mon chemin me ramènera vers ses ruelles, son ciel anglais, son air doux et humide, quand, dans quelques décennies, l'appel des bateaux du vieux port et des flâneries dans le Vieux Nice s'imposera comme une évidence. Alors je reprendrai mon voyage au pays de Nucera, interrompu durant la parenthèse enchantée qu' aura été toute ma vie. Et je partagerai mes jours entre la mer et la montagne, entre la plage et les sommets, la côte et l'arrière-pays, faisant du délicieux contraste de cette région une façon unique de ne jamais s'ennuyer.