Les fidèles lecteurs de ce blog ont tous remarqué que Blogborygmes ressemblait à un de ces gros navires de luxe qui a connu de belles années de gloire, et dont les ponts résonnent encore des fêtes les plus somptueuses, mais dont les moteurs sont tombés en panne l'un après l'autre. Sauf un, le plus vieux mais le plus solide, qui résiste toujours. On savait fabriquer, monsieur, en ce temps-là !

Un peu à la dérive, et pour ne pas finir comme le Costa Concordia, le majestueux Blogborygmes fait résonner dans les brumes insondables de la blogosphère ses appels de détresse, dans l'espoir ténu d'un secours occasionnel et incertain.

Incertain, car il est toujours risqué pour les petits de jouer dans la cour des grands, même s'il peut arriver qu'on ait besoin parfois d'un plus petit que soi.

Personnellement, je pense que l'équipage est atteint de Mankdinspiratiomanie. Evidemment, je souhaite de tout cœur me tromper car je suis moi-même atteint de cette maladie grave dont les phases de rémission sont rares et de plus en plus espacées.

J'ai d'ailleurs déjà raconté à mes petits enfants ce qui m'était arrivé alors que mon état avait subitement empiré, et que mon seul espoir était de « me baigner à minuit, la nuit de la Saint-Jean, dans le lac de Bethmale où veille la sorcière, dont la robe verte et bleue donne ses couleurs à l'onde... ».

J'étais sceptique. On l'eut été à moins. Toutefois, les photos de personnes atteintes de Mankdinspiratiomanie découvertes par hasard dans une vieille encyclopédie médicale, m’avaient persuadé de me rendre sans plus tarder au lac de Bethmale.

J’aurais dû tout laisser tomber lorsque la nuit tomba et que ma vieille voiture tomba en panne à proximité d’un cimetière abandonné. C’était certainement l’un des cimetières les plus désolés que Dieu ait jamais créés pour la punition des hommes.

.......

Excusez moi d’avoir interrompu un instant ce récit, mais la mélancolie de ce paysage me prend encore à la gorge quand j’y pense.

Une auberge se trouvait à proximité, et malgré ses allures de château en ruine, je fus particulièrement satisfait d’apercevoir la faible lueur de ses fenêtres perçant la brume rampante.

Le bruit de l’antique sonnette que j’actionnai en arrivant, déchira l’air du vestibule qui semblait plongé dans le silence depuis des siècles. Le maître des lieux, un homme au teint livide, vivante incarnation de l’ennui, me fit comprendre d’emblée qu’il était inutile de nourrir le moindre espoir de trouver un garagiste avant le lendemain, et cela dans le meilleur des cas.

La collection complète des clés qui pendaient au tableau de la réception ne me laissait aucun doute sur mon parfait isolement, et je ne m’étais jamais autant senti vulnérable loin de mes bases dans cet environnement hostile. Le mobilier et la décoration étaient monacaux. On aurait dit qu’un immense linceul d’affliction enveloppait tous les êtres et toutes les choses.

J’aperçus la patronne (je devrais dire la matrone) par l’entrebâillement d’une porte donnant sur les appartements privés du gérant. Vautrée sur un divan, cette bourgeoise dodue au regard de hyène tourmentée lança dans ma direction une œillade interrogative où frétillait la flamme vacillante d’une libido crépusculaire. L’épine dorsale traversée par une onde de terreur, je me hâtai de décliner mon identité et de m’enquérir du chemin le plus court pour accéder aux chambres.

C’est alors qu’apparut, surgi de nulle part, un gnome boutonneux et emprunté, affligé d’une laideur embarrassante et duquel émanait la sensualité brûlante d’un croque-mort diabétique en préretraite. Il tenait à la main un chandelier allumé qui faisait danser sur son visage de diaboliques ombres peu rassurantes.

Constatant ma perplexité, la patronne qui s’était extirpée de son divan, m’expliqua qu’une partie de l’hôtel était victime d’une panne d’électricité depuis le matin. Son apparition dissipa mes dernières hésitations et je suivis le croque-mort dans un couloir obscur jalonné de trophées de chasse.

Je passai une nuit agitée par les pires cauchemars.

Le lendemain, dans une salle aux dimensions de cathédrale, le gnome me servit son visage aride (et à rides) en même temps qu’un café noir épais, quasi solide, apte à ressusciter toute personne morte depuis moins de deux heures.

Le garagiste que l’on avait sorti de sa douche sous la menace de mon impatience, refusa obstinément de réparer ma voiture lorsque je m’enquis du chemin le plus carrossable pour me rendre au lac de Bethmale, ajoutant qu’il ne voyait que l’idiot du village pour m’accompagner dans un tel endroit.

Ayant exprimé le souhait de le rencontrer immédiatement, il me dit que je venais de le quitter, puisqu’il s’agissait du serveur de l’auberge.

Je suppliai l’humanoïde de me conduire au lac de Bethmale, ce qu’il fit moyennant une forte somme dont le montant me fit douter un instant de son idiotie, mais la guérison était à ce prix.

Arrivé sur place, il m’expliqua qu’il n’existait pas de sorcière à la robe verte et bleue, que la Mankdinspiratiomanie était incurable et que l’idiot du village n’était pas toujours celui qu’on pense.

Voilà pourquoi je souhaite de tout cœur que Blogborygmes ne soit pas atteint de cette maladie.