J’ai ressorti la première enquête de CHAUGUISE, biscotte personne (à part BLUTCH) ne veut en jouer sur ce $£)§%µ* de blog !

- Où ça ?

- ………….

- 12 rue du ruisseau ?

- ........

- Oui, je sais que c’est dans le XVIIIème, j’suis pas né à la cambrousse Bérinelle, on y va !

- Crafougnard ! Prends ta fouillasse, on sort !

- Oui patron, j’arrive…

Julien Crafougnard a emboîté le pas de son patron le commissaire Chauguise.

Chauguise : la cinquantaine, un vieux bada délavé sur son crâne, le sommet du bloum est percé de part en part, une balle de 9 millimètres "parabellum" tirée par Lulu l’enfouraillé, un Julot casse-croûte qui s’était pris pour un caïd et avait failli tuer Chauguise après un casse qui avait mal tourné. Chauguise, alors jeune inspecteur, ne l’avait pas raté, lui : un pélot entre les deux gobilles, le troisième œil. Il avait conservé ce bada en guise de porte-bonheur.

Julien Crafougnard : jeune inspecteur fraîchement sorti de l’école nationale de police. Julien vient d’être mis sur sa première enquête, une chance. Nous sommes au mois d’août, 1953 pour être précis. Pratiquement tous les inspecteurs sont en vacances, ceux qui devaient rentrer sont bloqués dans les gares à cause d’une grève aussi brutale qu’inattendue des agents conducteurs de la S.N.C.F. Le gouvernement Laniel voudrait modifier de façon désavantageuse pour les salariés les régimes de retraite (déjà). Les vacanciers fauchés sont obligés de camper dans les gares… Un bordel !

Voilà donc Crafougnard assis au volant de la traction avant Citroën quinze chevaux six cylindres à suspension "Grégoire".

- Allez, emmanche, nom de Dieu, on n’a pas qu’ça à foutre, c’est pas un enterrement de première classe !

En 1953, et de plus au mois d’août, pas un chat dans les strass. Julien attrape le boulevard du Palais, l’avenue Victoria, le pont au change, le Sébasto, qui devient boulevard de Strasbourg, puis c’est le boulevard Magenta, suivi du boulevard Barbès, la rue Ordener, après, un à gauche sur les chapeaux de roues, et enfin la rue du ruisseau, le tout en dix-sept minutes ! Des lardus en kébourre sont déjà là, petit salut militaire à l’arrivée du commissaire.

- C’est au sixième, Commissaire !

- Et y’a pas d’ascenseur, j’suppose… Comme d’hab.

- Ben non, Commissaire.

Flanqué de Crafougnard, Chauguise monte lentement les six étages. Sur le palier, une porte grise crasseuse ouverte. Sur le pas de la porte, un autre cogne à képi est là, il monte la garde interdisant tout accès.

Salut militaire, claquement de talons.

- C’est la bignole qui nous a prévenus, Commissaire, on n’a touché à rien.

- Manquerait plus qu’ça, rétorque aimablement Chauguise.

Dans la piaule craspouille, un lit douteux défait. Gisant en travers du pieu, une blondasse, jambes et bras en croix et, autour du cou, bien visible, la marque d’une strangulation. Julien s’approche et scrute méticuleusement la marque laissée par l’étrangleur.

- Cherche pas d’empreintes, y’en a pas, le salopard qui a fait ça portait des gants…

- Comment vous savez ça, Commissaire ? balbutie Crafougnard.

- C’est le cinquième du genre, toujours le même scénar, Dugland : il attire ses victimes dans un hôtel de troisième zone, enfile des gants, avant d’enfiler la donzelle. Et là, il se marre de sa propre boutade. Puis il se "coiffe" d’une capote, bourre la donzelle comme un malade et, une fois terminée sa petite affaire, il l’étrangle ! Ni vu ni connu, pas d’empreintes, pas de sperme, ainsi il n'est pas identifiable.

Mais la bignole de l’hôtel, elle l’a vu, Commissaire…

- Ben non Dugland, il est malin le fumelard. La veille, il laisse une belle enveloppe avec un bifton d’un sac, accompagné d’un petit mot : "laissez une des piaules du sixième ouverte, voici le prix de la chambre". Alors tu penses, un sacotin pour une carrée à trois cents balles, la pipelette en mouille son caldé, elle lui en laisserait même deux de piaules à ce prix-là !

Faisant preuve d'une grande bonté, BLOGBO vous a dégotté une photo d'un bifton d'un sac de l'époque.

Le soir, il se démerde pour emmener la grognace qu’il vient de lever à l’heure du feuilleton. Tu penses ! Toutes les bignoles de Pantruche ne rateraient pour rien au monde leur rencard avec la famille Duraton*!

Chauguise se penche sur le lit, en scrute chaque centimètre carré… Soudain, un sourire éclaire sa face rougie par les côtes du Rhône à la pression.

- Il est fait, le garenne, exulte-t-il... Il est fait ! Au bout de sa pince à épiler en "Nogent" véritable, il tient un poil de cul harmonieusement roulé sur lui-même, et roux de surcroît.

- Il a enfin laissé un indice ! Tu vois, Crafougnard, on va l’analyser ce poil de fouindé, on va le passer au FECALOSCOPE !

- Au quoi, patron ?

- Fé-ca-lo-sco-pe, c’est un appareil scientifique que l’on vient de nous livrer, ignare ! On vous apprend quoi à l’école de police ? Je vais tout de même t’expliquer : tu places un poil de cul sur une plaquette de verre, tu passes la dite plaquette dans l’appareil et, en moins de temps qu’il en faut à un manouche pour te faire les glaudes, l’appareil t’a livré tout ce que le proprio du poil a bouffé. Car, comprends-tu Dugland, lorsque tu vas aux cagoinsses, tu t’essuies ? Mais il reste toujours des traces, et si tu n’as pas pu te savonner le derche, biscotte t’étais au restau par exemple, eh bien l’appareil sera capable de te restituer le menu !

- Ben merde alors... C’est le cas de le dire.

Retour au trente-six par le chemin inverse, point de sens interdits, ou si peu, en ces années bénies. Fébrilement, Chauguise se rend au sous-sol, toujours flanqué de Julien. Ils sont accueillis par Bourrieux, dit "Couillette".

- Salut Couillette ! Tiens, passe-moi ça vite fait dans ton fécaloscope.

Précautionneusement, Bourrieux dépose le poil sur une plaquette de verre stérile, pousse le tout sous la lentille en verre dépoli de l’engin trônant au milieu de la pièce, maintenue à température par un système de climatisation très en avance pour son époque.

Un très léger bourdonnement se fait entendre, puis le cliquetis d’une machine à écrire a remplacé le bourdonnement, enfin une feuille au format A4 sort d’une fente latérale.

- Putain, on n’arrête pas l’progrès, s’exclame Chauguise, puis il saisit la feuille.

- Nom de Dieu, écoutez ça : mouton ; poivrons verts ; piment d’espelette ; olives vertes ; et tomates marinées dans l’huile d’olive, et le tout arrosé au lacryma christi ! Il s’emmerde pas le tringlo ! Et c’est exactement la recette de quoi ? HEIN ? J’vous d’mande ?

- On sait pas répondent en chœur les duettistes de la rousse, Dugland et Couillette.

- Bande de miaules (la miaule étant comme chacun le sait la buse en Occitan…) ! C’est exactement la recette du "schtronzo", une spécialité Austro-Lombarde, que l’on vous sert dans UN SEUL restaurant Parisien : le "Casso duro".

- Allez, en route, Dugland, on va aller le serrer, ce maniaque !

Le Casso duro : un p’tit gastos situé rue des Italiens, une petite rue à droite sur le boulevard du même nom, peu après la rue Taitbout, en remontant vers la Madeleine, elle abrite encore à cette époque l’immeuble du journal "le Monde".

Crafougnard gare la pompe en plein travers du trottoir, manquant écraser deux piétons. En guise d’excuses, il leur brandit sa carte rayée bleu, blanc, rouge. Puis il pénètre dans le restaurant, précédé de son patron. Bien qu’il ne soit que dix-neuf heures, quelques dîneurs sont déjà installés.

- Buona sera signore, una tavola per lei ? s’enquiert le taulier, arrivé presto à la rencontre du duo infernal.

- Casse-toi, Mario, ou j’te fais avaler ta marmite de spaghettis, répond laconiquement Chauguise.

- Là, patron !

Julien vient d’indiquer à son commissaire de chef une table un peu en retrait, leur tournant le dos un homme roux, mange tranquillement.

- Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! (Bourrel n’existait pas en 1953, il a dû pomper assurément) J’le reconnais c’t’endoffé, c’est "Pogne d’acier" ! Dans l’mitan, on l’appelle ainsi car un jour il a étranglé un clebs qui lui jappait dans les mocassins, et ce d’une seule main !

Lentement, nos deux flics s’approchent, chacun se plaçant à coté du rouquin, Crafougnard à gauche, Chauguise à droite.

- T’es fait, Ducon ! Suis-nous sans faire de schcroum, sinon j’te plombe comme un scaphandrier, lâche le commissaire, en lui braquant son très règlementaire sept soixante-cinq P.A HSC sur la nuque.

- Laissez-moi au moins finir mon "schtronzo", Commissaire, balbutie Pogne d’acier.

Chauguise soi même et z'en personne.

(ch'tiot crobard Andiamo)

* La famille Duraton, était un feuilleton radiophonique qui passait le soir sur : radio Luxembourg (devenue RTL) aux environs de 20H 30. Et qui avait pour interprètes principaux : Ded Rysel, Jeanne Sourza, Jean Jacques Vital (auquel on devait beaucoup d’émissions radiophoniques) et enfin dans le rôle du pique-assiette ami de la famille : Jean Carmet… Eh oui !