Un homme, jeune, un ado presque encore. Qui bouge vaguement les lèvres, comme pour parler, mais aucun son ne sort de sa bouche. Il oscille doucement. D'avant en arrière. D'arrière en avant. Sans relâche. Sans fin. Il tangue, le regard comme perdu, étranger à tout ce qui l'entoure.

Un autre homme, un peu plus loin. Il ne suit pas le flux incessant de la foule sur le trottoir. Sa démarche est hésitante, il part à droite, dévie sur la gauche, s'arrête, puis refait quelques pas maladroits. Les passants sont gênés, l'évitent, sa démarche erratique les perturbent, il ne les voit pas, il parle dans le vide.

De l'autre côté du mur, une vieille femme, sur un fauteuil, immobile, impavide, l'oeil vide et hagard, la lippe pendante. Elle reste là des heures durant, aucun souffle de vie ne semble plus agiter son corps, aucune étincelle ne subsiste dans son regard.


Triste spectacle me direz-vous : un autiste, un ivrogne et une grabataire. Dans quel sombre asile, quel triste hôpital sommes-nous là ?

Aucun : le jeune homme est assis sur un banc, un baladeur vissé sur les oreilles, l'autre homme est pendu à son téléphone portable, la vieille dame regarde la télévision.

Une vieille blague de cours d'école me remonte à l'esprit : celle de ce fou qui s'agrippe au mur d'enceinte de son asile, passe la tête au-dessus du faîte et, voyant des dizaines et des dizaines de personnes déambuler sur le trottoir, finit par demander à l'une d'elles : "vous êtes nombreux là-dedans ?"

Aujourd'hui, il ne m'étonnerait guère que le passant réponde : "oui, et chacun de nous a sa propre camisole."

Et moi ? Quelle est ma camisole ? Ne commencerait-elle pas à ressembler à ça ? ;~)