L'ami Saoul-Fifre, vous l'aurez finaudement deviné au travers de sa prose, est un bouseux noble représentant de la gent agreste et, si vous restez bien sagement à l'écoute de ce blog, vous saurez bientôt tout des moeurs ovines, caprines, porcines, bovines, équines, sans oublier les moeurs bibine (histoire de justifier son pseudo).

Mais tout ça, c'est crâneries et compagnie : ne croyez pas pour autant que l'urbain fin et distingué que je suis n'y entend goutte en chroniques animalières, et je vais vous le prouver sur l'heure en vous entretenant d'un sujet particulièrement grave, qui peut tous nous concerner un jour : la pilosité auriculaire chez les iguanes mutants. Ce sujet me tient particulièrement à coeur car je possède un iguane mutant domestique (il s'appelle Popaul) et suis hélas confronté à ce problème.

Mon Popaul et moi, c'est une longue histoire...

C'était il y a plus de cinq ans. Il pleuvait. Je me promenais dans les tristes allées d'un refuge S.P.A. crasseux d'une banlieue miteuse de la lugubre région parisienne, quand, tout à coup, je suis tombé en arrêt devant une cage. De l'autre côté, un doux regard mélancolique et globuleux était posé sur moi. Nous sommes restés longtemps ainsi, les yeux dans les yeux, totalement fascinés l'un par l'autre. Qui n'a jamais vu le regard plein d'amour d'un jeune iguane n'a rien vu.

Puis j'ai étendu la main au travers des barreaux et ai caressé longuement sa délicate peau verdâtre et grumeleuse. Lui fermait les yeux pour mieux goûter par chacun de ses pores le contact voluptueux de mes doigts sensuels. La pluie cessa soudain de tomber, une trouée se fit dans les nuages et le soleil vint réchauffer des mille feux de l'amour notre passion naissante. Quand je voulus retirer ma main, il essaya de la retenir de sa papatte griffue et sa petite langue fourchue s'agita désespérément, comme pour me crier : reste !... C'en était trop, les digues de mon coeur se rompirent : je fondis en larmes. Le soir même, je ramenais Popaul à la maison.

Mais venons-en à notre sujet... Popaul est un iguane ukrainien. En effet - beaucoup de gens l'ignorent - une population non-négligeable de ces charmants sauriens vivait en paix aux abords du lac Onik, près de Tchernobyl. Je dis "vivait en paix", car le terrible accident nucléaire de 1986 a énormément troublé cette quiétude : les iguanes ont subi des mutations génétiques. Celles-ci se sont traduites essentiellement par deux effets :

  • par quelque modification hormonale encore assez mal connue, les iguanes ukrainiens, animaux quelque peu farouches par essence, sont devenus particulièrement sociables, affectueux même. Ainsi, mon Popaul n'est qu'amour et tendresse, alors que les iguanes des Galapagos, qui eux n'ont pas subi de mutation génétique, sont vraiment mal embouchés. Voilà pourquoi la majorité des iguanes domestiques sont originaires des rives du lac Onik.

  • cette modification du dosage hormonal s'est également manifestée par l'apparition d'une pilosité auriculaire abondante. Popaul, comme tous les iguanes mutants, a des poils de 80 cm dans les oreilles.

Cette pseudo-chevelure, fort seyante au demeurant, devient vite le cauchemar de nos amis sauriens. En effet, très fréquemment, ils posent, en se déplaçant, leur papatte dessus, ce qui s'avère dramatique à la fois pour eux et pour leurs maîtres.

Pour nos compagnons favoris, on le conçoit aisément : ils sont surpris, déséquilibrés, et leur menton heurte le plancher. C'est d'ailleurs pourquoi la plupart des iguanes domestiques finissent par avoir un menton en galoche. Le problème est tout aussi tragique pour le possesseur de l'iguane : la tension sur les poils auriculaires est si brutale qu'elle provoque souvent un jet de cérumen ô combien dommageable pour les moquettes de nos appartements modernes.

De plus, vous imaginez bien qu'à chaque fois qu'ils marchent sur leurs poils, cela n'est pas sans douleur pour eux : ça tire sec au niveau des oreilles. La souffrance est telle qu'elle finit en général par traumatiser le pauvre animal, qui n'ose plus faire un pas et reste alors dans un état de prostration complet, ce qui peut être particulièrement gênant si votre iguane se trouve à ce moment-là aux W-C.

Les plus grands experts se sont donc penchés sur cet épineux problème, et des propositions de solution ont rapidement vu le jour. Mais l'efficacité, comme nous allons le voir, n'était pas toujours au rendez-vous.

La première idée qui vient à l'esprit est de raser ces poils si gênants. L'efficacité à court terme de cette méthode est indéniable : l'iguane recouvre toute sa liberté de mouvement et, par la même occasion, le goût à la vie. Mais tout cela n'est qu'un court répit. Je n'apprendrai rien à mes lectrices en rappelant qu'un poil coupé repousse encore plus dru. Imaginez ce que cela peut donner avec des poils particulièrement vigoureux d'iguanes mutants ! Au bout de six mois de ce régime, leur longueur peut facilement doubler, et ils finissent même par atteindre les papattes arrières, multipliant ainsi par deux les risques de chute.

Une autre approche du problème serait d'amidonner les poils, qui, ainsi rigidifiés, ne traîneraient plus par terre. Hélas, si la théorie est séduisante, le passage à la pratique s'avère redoutable. Si l'on amidonne les poils à l'horizontale se pose rapidement avec acuité la question du passage des portes : votre cher animal ne pourra plus circuler dans votre logis (ça ne l'aidera pas à sortir des W-C si c'est là qu'il était prostré). Qu'à cela ne tienne, me direz-vous, il suffit de raidir les poils à la verticale ou en oblique ! Certes cela semble la panacée et votre iguane y gagnera un look "punk" assez sympathique, mais avez-vous pensé à vos précieux bibelots que les poils du saurien, tels autant de lances, ne manqueront pas de mettre à bas des étagères ? N'oubliez pas non plus que maints enfants ont été éborgnés par des iguanes ainsi amidonnés !...

Une autre façon d'appréhender le problème est d'apprendre à votre compagnon à marcher à reculons, les poils ne venant plus ainsi traîner dans ses papattes. Malheureusement, outre le fait que cela nécessite un très long dressage, cette solution est à proscrire si vous habitez une maison à étage : on a vu plus d'un iguane se casser lamentablement la gueule dans les escaliers, avec parfois une issue hélas tragique (quoique dans ce cas vous pouvez toujours vous faire tailler un portefeuille, un sac, et une paire de chaussures en peau d'iguane, vous n'avez pas tout perdu). Bien sûr, on peut équiper l'animal d'une paire de rétroviseurs, mais c'est oublier que l'iguane est un animal foncièrement narcissique... Celui-ci ne résistera pas à l'envie d'admirer son joli teint verdâtre en oubliant de surveiller ce qui se passe derrière lui.

En fait, la seule solution réellement satisfaisante est de faire des couettes ou des nattes à votre compagnon, et d'utiliser une pince à linge pour les attacher sur le sommet de son crâne. J'ai moi-même testé cette méthode sur mon Popaul. Il a complètement repris goût à la vie, et c'est un vrai plaisir de le voir se gambader et faire de pirouettes au milieu du salon !

Laissez-moi pour finir vous donner un conseil d'ami... Si après avoir fait des couettes à votre iguane, vous lui apprenez à chanter "l'école est finie" en dodelinant de la tête, je vous certifie que vous aurez beaucoup de succès dans vos soirées entre amis. De plus, cela flattera l'ego de votre compagnon, qui, soyez en sûr, saura vous récompenser de tout son amour de saurien !