Septembre 68, quatre mois avant des pavés avaient volé, et moi dans ma blouse neuve je découvrais le goudron de la cour de l'école. Ma sœur m'avait précédé, j'y retrouvais un copain, c'est pas moi qui aurait chialé comme la Marie-Christine. En fait l'école c'était bien, sauf que fallait se lever tôt, même en section enfantine.

On y allait à pied, un kilomètre et demi, trois grosses côtes à grimper. Le village était petit, l'école pas très remplie, les deux maitresses se répartissaient les six classes. On apprenait des trucs bizarres, comme mettre dans le bon ordre des bouts de papier avec des groupes de lettres dessus. J'avais pas compris le jeu, mais mon voisin si, alors je copiais sur lui. On avait aussi un cahier d'écriture, des pages entières de a ou b à écrire proprement, buvard plumier et encrier, j'étais pas très doué, ça n'a pas beaucoup changé.

Le reste du temps c'était tranquille, on collait des nouilles sur des feuilles de papier en écoutant les plus grands réciter leur table de multiplication, on chantait "colchique dans les près", on découpait des trucs en piquant tout autour, et on en attendait les récrés.



Un matin, une dame en blanc est venue, on s'est tous retrouvé en slip, à défiler devant elle, qu'elle nous colle un timbre sur le torse après nous avoir toisé, pesé et contrôlé les yeux. On l'a gardé deux jours, le timbre, pas la dame, avant de le décoller pour voir ce qu'y avait dessous. Mon voisin, après ça, il est parti pendant quelques années dans une autre campagne, à respirer du bon air dans un sanatorium. J'avais plus personne pour m'aider à ranger les bouts de papier, mais c'était pas grave. Une amie de mon oncle m'avait offert un Akim. Akim, c'était géant, sauf que juste regarder les images, c'était pas suffisant, alors en deux mois j'ai appris à lire avec Akim, Rita, Jim, Kar, Zig et Ming.

Ensuite j'ai eu une voisine, Anne. J'aimais bien Anne, mais je préférais Béatrice qui, elle, ne pensait qu'à Pascal. Toutes les filles d'ailleurs ne pensaient qu'à Pascal, l'enfoiré. Ça va pas toujours comme on veut en section enfantine. Plus tard non plus d'ailleurs, mais on apprend quelques combines.

Aux récrés, on faisait des batailles, les petits montés sur le dos des plus grands. Mon cheval était coriace et j'étais un teigneux, on gagnait presque tout. Sauf qu'un jour le cheval a trébuché, et je me suis niqué une arcade sur le goudron, la maitresse a dit que stop, fini la plaisanterie. Restait plus qu'à jouer à chat perché, avec les filles...

Alléluia, un jour on a eu un ballon, ça tombait bien, dans la cour y avait deux grands portails face à face, deux buts magnifiques, pas exactement la même taille, mais ça le faisait quand même. C'est comme ça qu'on a pu laisser les filles à leur histoire de chat.

Le midi, y avait cantine. Avec la cantinière, tous les jours c'était soupe en premier. Moi, j'aimais bien la soupe, les brocolis, et les carottes râpées, ah non, pas les carottes râpées, et les betteraves non plus. Le boudin, et le ragout, les tomates farcies, le pot au feu, les pommes au four, ça j'adorais. Et les grandes plaques de flan alsa pistache, vanille, ou chocolat, tu faisais une petite entaille dans ta part qu'à la fin ça faisait une grande crevasse. Après, c'était moins drôle, à tour de rôle on faisait la vaisselle, même nous les garçons, pas préparés à ces activités.

Deux trois fois dans l'année, un type passait avec un projecteur, et de grandes boîtes avec des films dedans. On allait voir ça dans la salle des plus grands. Le début toujours c'était chiant, des trucs de volcan, de fonds marins, ou des balades dans des villes qu'on connaissait même pas, remplies de statues ou de monuments bizarres. On nous gardait le meilleur pour la fin : Laurel et Hardy, Charlot mais j'aimais moins, et parfois quelques dessins animés.

Avant chaque départ en vacances, fallait venir avec une feuille de papier de papier de verre, et aussi de la cire. Plus tu pourrissais ton bureau, plus tu frottais longtemps, ça s'appelle la justice immanente.

Mon école, mon père ma mère l'ont fréquentée, mes grands-parents et arrières-grands-parents aussi.

J'y suis repassé l'an passé, de regroupement pédagogique en normes plus aux normes, elle fermera à la fin de l'année.