Vous pouvez fouiller, vous ne la trouverez pas dans la liste des disciplines olympiques. On préfère se la garder pour nous. Et puis ce serait compliqué : la péña jouerait "La coupo santo" à la place de "la Marseillaise", ça ferait un gros scandale, et puis on voudrait nous imposer un arbitre alors que l'animateur qui crie dans son micro " Ho, je coupe le chrono, je le rallumerai quand vous serez calmés", ben ça nous suffit largement. Et puis je sais bien que nos bious, ils accepteraient pas d'aller plus loin que Saint-Jean-du-Gard ?

Alors à Pékin ???

Non oubliez ces conneries, le décalage horaire c'est mauvais pour les manaudous, alors vous imaginez, pour les manades ? On va rester par chez nous, et si vous voulez goûter à ce spectacle d'un autre monde, il vous faudra descendre en Terre de Provence.

Ha ne commencez pas à m'énerver et à confondre avec les vaches landaises, le toro-piscine ou bien même, tant que vous y êtes, avec Intervilles ? Vu que Tex et Philippe Corti remplaçant Guy Lux et Léon Zitrone, comme évolution, c'est un peu l'Homo Sapiens qui remonte dans son arbre, non ?

Et ne confondez pas non plus avec les autres bouchers-charcutiers bovins, là, les déguisés, les travelos à costumes fluos flashies qui se prennent pour des artistes venant faire admirer leurs vrilles fouettées sur pointes, en soi-disant petits rats de corrida noirs de poil, alors que leur justaucorps bariolé n'est que l'équivalent hypocrite du tablier de coton blanc du tueur d'abattoir (matador, en castillan).

Le toro espagnol de combat rentre pour la première et la dernière fois dans le cercle de son destin. Lui si habitué au silence des nuits andalouses, il est tétanisé par les hurlements sanguinaires des spectateurs. Même s'il y "gagne", fait rarissime, il sera abattu. À sa deuxième corrida, ayant un peu appris des sombres projets que l'Hombré nourrit à son encontre, il serait bien trop dangereux. Même puceau du combat, le toro fait déjà peur a l'Hombré qui lui envoie d'abord ses picadors pour l'affaiblir et commencer à le vider de son sang, par précaution préventive. Ensuite seulement se présente à lui le toréro qui connaît la vue basse du toro et sa tendance à foncer sans réfléchir, droit devant lui. Il lui suffit de ne jamais se trouver derrière la cape couleur de sang au moment dangereux et tout le reste est mascarade, frime et surtout totale absence de fair-play.

Le taureau camarguais, lui, est l'alpha et l'oméga, la raison d'être, le noyau de cristallisation, la fierté et l'honneur de la Nacioun Gardiano. À l'exact inverse du toro espagnol, le Biou est sélectionné, entraîné pour la course. Chaque manade, élevage camarguais de chevaux et de vaches, possède son arène et jeunes gars et taurillons y font leur apprentissage ensemble, pour ensuite, s'ils en ont le talent, grimper les marches de la notoriété et devenir taureau-vedette ou compétiteur du Trophée des As.

Chaque biou rentre dans l'arène muni de ses attributs :

- La cocarde, rouge, fixée entre les cornes.

- Les glands, blancs, chacun sur une corne.

- Et les ficelles, qui font de nombreux tours à la base des cornes et qui demandent de nombreux coups de crochets avant de daigner glisser par terre.

Les raseteurs, aidés des "tourneurs", doivent les leur prendre avec une sorte de peigne fixé au bout des doigts, le crochet. Mais plus facile à dire qu'à faire car le taureau est en pleine forme et s'entraîne depuis son plus jeune âge. Et on ne fait courir que les plus vifs, les plus barricadiers, ceux qui ne freinent pas sur la planche.

En plus le public d'aficionados réserve généralement ses reproches aux "tenues blanches" :

- Laissez-le prendre son élan !

- Ne le poursuivez pas ! Jusqu'à pousser de grands cris de rage si le raseteur essaye de surprendre le taureau. Un beau raset doit être franc et loyal. L'homme attaque sur le côté, mais sous le regard du "cocardier", qui démarre aussi sec après lui dans le but évident de faire sa fête à cet effronté osant l'affronter. Les 2 rôles sont clairs : l'homme doit lui piquer un des attributs et l'animal cherche à l'embrocher, à tout le moins, l'en empêcher. Les 2 coureurs étant à touche-touche, on se demande comment il n'y a pas plus d'accidents.

La règle est claire cependant : l'attention, l'intérêt, la compassion portée au taureau est de commune mesure avec celle due aux humains. Si un raseteur se rend compte que le taureau porte une blessure, il doit en avertir immédiatement le président de course, qui avertit le manadier-propriétaire qui jugera s'il convient de faire cesser la course et de faire intervenir un véto.

Le cocardier est fier. Il a conscience de participer à un spectacle, un art, d'être un sportif de haut niveau. La plupart du temps, dès sa prestation finie, dès qu'il a entendu la musique de fin, il se retourne vers la porte de son toril, l'air de dire "Ho, vous êtes sourds, elle s'ouvre, cette porte ?", et il rentre chez lui, dans ses immenses marais camarguais où lui et les siens vivent libres et tranquilles.

Même si le taureau est un peu faible, un poil endormi, le public sera plein de mansuétude envers lui : "Ô le pauvre, il serait plus à sa place dans une course de l'Avenir (de débutants)". Le raseteur court quand même un peu pour l'argent :

- Et 2 euros de plus de la part de René, le sympathique serveur du Bar de la Poste, à Mouriès.

- Et 10 !!! euros de plus, de la part de notre grand ami Marius Roucas, conseiller municipal chargé des festivités.

- La deuxième ficelle est montée à 320 euros ! Il ne reste plus qu'une minute. Boulégan, coullègues !

Le cocardier, même s'il reçoit des récompenses (qui vont dans la poche de son manadier), court en premier lieu pour l'honneur et pour notre plaisir.

Les spectateurs, qui ont l'afecioun pèr la bouvino, lui en savent gré et lui conservent dans leur cœur la meilleure place, celle réservée aux passionnés, celle qui domine la contre-piste, devant, à l'ombre, la mieux située...

Ils ont la fé di biou.

Quelques images ici , ici et ici , pour que vous vous rendiez un peu mieux compte, bande de parisiens.