- Bon, tu surveilles les fils pendant qu’ils vont faire pipi ? Moi, je prends les affaires et je vais chercher un coin d’herbe où s’installer pour pique-niquer.

Il tira le frein à main, descendit, ouvrit le coffre et prit la glacière ainsi qu’un plaid à carreaux rouges et blancs. Pendant que ses deux fils allaient adopter la position du mictionnaire dans les sous-bois et humidifier l’humus, il enjamba le fossé et chemina vers un grand chêne isolé à l’ombre duquel il ferait sûrement bon s’offrir une petite sieste après le repas.

Le coin était parfait : une herbe épaisse et accueillante pour les fessiers, à l’abri des rayons dardés par le soleil. Il posa la glacière, saisit deux coins du plaid puis, tout en surveillant l’arrivée éventuelle de nuages, fit claquer celui-ci dans l’air pour bien l’étendre sur le sol. Pas de souci céleste à court terme : malgré un risque d’orages localisés annoncé par la météo, le ciel demeurait pour l'heure aussi bleu qu’un papier d’huissier.

Son regard put donc redescendre sur terre. Et ce qu’il aperçut alors fit jouer à son cœur un solo de batterie digne d’un morceau de trash-speed-metal. Le terrain sur lequel il avait étendu le plaid était parfaitement dégagé, il en était sûr. Et pourtant, il semblait que la couverture reposât sur quelque chose, dont on ne pouvait que deviner la forme sous les plis à carreaux rouges et blancs. Quelque chose d’environ un mètre quatre-vingt de long, de cinquante centimètres de large, quelque chose qui ressemblait à…

Non, ce n’était pas possible !

D’un geste parkinsonien, il souleva prudemment un coin du plaid, jusqu’à découvrir… un visage ! Un cadavre ! Il y avait un cadavre sous le plaid, là où un instant plus tôt il n’y avait absolument rien !

Et, malgré ses traits révulsés, ce visage lui disait quelque chose. Quelque chose qui ressemblait à ce qu’il voyait chaque fois qu’il passait devant son miroir.

Il sentit ses jambes se transmuter en guimauve et ses intestins en corde à nœuds. Un macchabée surgi on ne sait d’où et qui lui ressemblait trait pour trait !

Il ferma les yeux et secoua la tête. Non, ce n’était pas possible !

Quand il rouvrit ses paupières, une fraction de seconde plus tard, il n’y avait plus rien à ses pieds, ni cadavre, ni plaid.

Ses yeux s’écarquillèrent d'une stupeur renouvelée, et ce d’autant plus qu’il ressentit simultanément une violente déchirure dans sa poitrine. Son cœur fragile de cadre sur-stressé pétait une durite sous un trop-plein d'émotion.

Il grimaça, gémit et, brutalement, chut dans l’herbe.

Une fraction de seconde plus tard, un type apparut soudain de nulle part, dressé au-dessus de lui, qui étendait un plaid en regardant les nuages. Un type qui lui ressemblait trait pour trait.

La dernière vision qu’il emporta du monde fut celle de carreaux rouges et blancs qui descendaient mollement sur lui jusqu’à l’engloutir.