C'est l'histoire d'un gland qui est tombé par terre.

Une poignée de feuilles le recouvre, la pluie humidifie et ramollit le sol, le gland s'y enfonce de son propre poids, s'y fait son petit nid qui le protègera du froid. Il va s'y gonfler d'eau, les premiers beaux jours l'auront vu germer, lancer en premier vers les profondeurs du sol sa racine maitresse à la recherche de l'eau indispensable et des principaux éléments nutritifs, puis, quand le soleil sera assez fort, sa tige qui deviendra tronc, ses feuilles qui deviendront branches, dardant elles-mêmes d'autres feuilles faisant de l'ombre aux autres espèces voisines, les faisant même mourir de trop de ténèbres, devenant, sans plus avoir conscience d'être cruel, le roi de la forêt.

Un jour, alors qu'il avait déjà connu bien des saisons dans son havre de paix, des êtres bruyants et malodorants envahirent son domaine, armés d'outils faits pour mordre sa chair. L'un deux s'attaqua à lui, il essaya de se durcir mais la lame s'enfonçait profondément en lui sans faiblir, copeau après copeau. Lui qui était la force, la stabilité, l'équilibre absolu, qui avait résisté aux plus gros orages et aux vents les plus impétueux, il ressentit pour la première fois cette horrible sensation de ne plus s'appuyer à rien, de ne plus pouvoir se retenir à ce sol si solide qui lui avait toujours été fidèle compagnon.

Il sentait qu'il allait, dans quelques secondes, être le jouet d'un souffle, avoir à obéir à une grande force païenne qui le mettrait à bas, oui, lui, le roi de la forêt, avachi par terre avec sa sève, son eau de vie se répandant au sol sans rémission possible.

Au moment précis où cette aberration, ce déséquilibre à l'odeur menaçante et inconnue s'empara de lui, il fit appel aux ultimes forces de ses fibres, se dressa, se vrilla sur lui-même et s'effondra dans un grand fracas de branches fracturées, droit sur cet hommoncule, son petit tortionnaire qui essayait en vain de lui échapper, de sauver sa vie.

Il arrive que l'arbre se rebelle, et ne tombe pas où la hache du bucheron lui dit de tomber. En ces temps reculés, l'usage était de scier aussitôt dans l'arbre coupable les planches du cercueil, pour l'ouvrier maladroit, malchanceux ou trop lent à la course.

C'est l'histoire d'un gland que l'on a mis en terre.

Sur ce : une petite bière, mes neveux ! Vous dire cette histoire m'a asséché la glotte.