C'est fou l'élégance qu'on peut donner au mot "auto" en lui rajoutant "mne" à la fin. On pourrait évoquer aussi l'acronyme "HIV" qui a nettement plus de classe si on le fait terminer par "er".

J'aime l'hiver, je ne peux le nier, c'est une saison de dormance, de réflexion, de méditation où l'on a l'occasion de se restructurer dans un nouveau cadre. Après s'être astreint à tirer une synthèse de l'année passée, vient le temps de faire des projets, de tirer des plans sur la comète de l'année à venir. J'apprécie cette saison-bulle où l'on profite de ce qui a été engrangé, où le rythme s'alentit, laissant un peu plus de place au rêve, à la magie de la nuit. La moindre lueur y atteint des prix fous et les silences nous sont autant de friandises, caries en moins.

L'hiver m'est douceur mais ma saison préférée c'est l'automne. "Septembre, quel joli temps...", fredonnait l'irremplaçable Barbara à qui je reste fidèle, ne serait-ce que pour l'évidence de ce vers. Après la saison-feuille, puis la saison-fleur, vient la saison-fruit, qui est un aboutissement, une récompense, une plénitude. Tout labeur mérite salaire et les grappes désignées par nos sécateurs sont ravies de choir dans les paniers, puis dans le fouloir, puis dans la cuve où les normales saisonnières seront suffisantes pour lancer une transsubstantiation à gros bouillons du jus en vin. Cette après-midi, nous connûmes la consécration du cycle, avec le soutirage, le passage de la rafle dans le pressoir au doux cliquetis, la mise en cuve, en bonbonnes et en bouteilles. Un peu plus de 1000 litres. Ouf : nous sommes à l'abri de la soif pour l'année.

L'automne est aussi la saison des confitures. Margotte a repéré la charge des branches à l'avance, surveillé la maturité sans laisser pour autant le soin de la récolte aux prédateurs emplumés, et opéré la razzia. Figues à l'odeur de miel, mûres disputées aux épines, pâte de coings nous renvoyant direct en enfance, petites pommes sauvages à la saveur rare appréciée aussi, quel dommage, par nos amis les vers, raisins de la treille, délice de nos rouges gratte-culs si longs à préparer...

Puis arrive le temps des olivades. Nous les ramassons à l'ancienne, au panier tressé, avec l'aide de chevalets, ces échelles si stables en forme de pyramides à trois pieds, pour les branches hautes. Là aussi, ce jus de l'olive qui va sourdre sous les meules de pierre, être récupéré naturellement par simple décantation, représente le chef-d'œuvre que l'arbre nous offre tous les ans à la même époque, huile aux couleurs fascinantes, mais toujours fraiche et lumineuse. Ardente ou douce au bout de la langue, selon son humeur.

Si elle est la saison par excellence des présents et de la générosité, l'automne se garde bien d'oublier que pour apprendre à donner, il convient de savoir recevoir. Le moment des labours est venu. La terre doit s'ouvrir, être travaillée, se rendre disponible au semis des graines. J'aime à sentir le soc rigide retourner et ameublir le sol, j'aime engager la roue de mon tracteur dans le sillon précédent. Je lâche alors le volant et laisse ma charrue exprimer sa créativité. J'ai remarqué qu'elle préférait suivre le chemin des écoliers. À mes débuts, me sachant sous l'œil braqué des voisins, je la forçais à tirer des raies impeccablement droites, aujourd'hui, plus philosophe, je prends plaisir à la voir dessiner sous mes yeux des courbes féminines.

Et je trouve une certaine logique dans le fait d'y enfouir ensuite ma semence.

"Septembre, quel joli temps", de Barbara