Je vous ai déjà parlé de mon débarquement dans cette Provence accueillante comme un digicode plein de vomi. L'accent chantant et le sourire plein de dents, c'est la vaseline pour faire passer l'esprit de lucre et la détestation de l'étranger. Je m'y sentais comme un poisson des tropiques paumé au milieu d'un banc de sardines au large de la Laponie.

Et avec le recul, en y ayant réfléchi longuement et calmement, la petite lueur boréale qui me fut promesse d'un peu de chaleur humaine se nommait Olivier.

Nous étions collègues, embauchés presque en même temps dans cette petite boite de monteurs en téléphonie. Le patron était raide, je n'avais jamais rencontré un salaud pareil, un vrai rat, il avait d'ailleurs une gueule de fouine. Le boulot était dur, on était poussé au cul, il fallait lui construire des installations impecs, sans malfaçons, le pire étant de retourner sur un chantier et de se farcir le sourire sardonique de l'abonné qui s'était plaint "à qui de droit" de billevesées.

Aujourd'hui, on parlerait de harcèlement mais à l'époque, on baissait la tête et on serrait les dents. De toute façon, dans une petite entreprise de moins de 10 salariés, on savait qu'on avait droit à rien et que la moindre plainte ne nous obtiendrait qu'un doigt nous montrant la porte. Dans cette ambiance glauque, et si on y ajoute mon statut d'immigré de frais, and a long way from home, avoir un bon copain était une chance extraordinaire.

Olivier connaissait bien le secteur, l'emplacement des centraux, des sous-répartiteurs. Ça n'a l'air de rien, mais ce genre de connaissances valait de l'or en barre. On était lâchés dans la nature, sans aide. Le listing avec adresses précises existait bien mais était jalousement gardé par les gars de France Télécom. Et merde. Le boulot était suffisamment dur comme ça pour que l'on ne perde pas 2 heures à chercher tout au fond d'un lotissement ou d'une cave l'armoire bien cachée où nous devions tirer nos "ficelles"?

On nous donnait trop de travail, bien sûr sans primes de rendement ni heures supplémentaires. Nous étions "mensualisés" et je rentrais souvent à la maison à la nuit, n'ayant même pas pu tout faire. C'est Olivier qui m'a "déniaisé", m'indiquant la rentabilité correcte d'une journée, celle qui ne me ferait pas engueuler le lendemain. C'est lui qui m'a appris à rendre des dossiers "abonné absent", pas vu pas pris, en m'approchant à quatre pattes des boites aux lettres pour y glisser un "avis de passage". Des installations que nous n'avions absolument pas le temps matériel de terminer.

Un imbécile a fait chanter un jour à un surexcité "La solitude, ça n'existe pas". Oui mais quand on s'expatrie, c'est un peu dur au début quand même. C'est encore Olivier qui m'a refilé les premiers éléments de ce qui devait devenir un réseau d'amitié en béton précontraint, fidèle, généreux, sur qui nous pouvons toujours compter vingt-cinq ans plus tard.

Grâce à la gestion pointue de cette bestiasse de patron, la boite fit faillite, je m'orientai vers l'agriculture mais Olivier resta dans le milieu de la téléphonie. Il en gravit les degrés, technicien, chef d'équipe, de chantier, de secteur pour finir par monter sa propre boite, récemment. Un vrai gars du combiné. Nous n'avions pas encore de portable , ni nous ni nos enfants, qu'Olivier jonglait déjà avec deux ou trois de ces engins, à usage privé ou professionnel. Ils sonnaient à tout bout de champ, en plein milieu du repas... On ne mouftait pas, c'était normal, c'était Olivier.

Là il a le dernier et l'avant-dernier I-phone. Avec sa clef G3, son mur Facebook et ses nombreuses applications, on dirait un gros bébé pourri-gâté au pied d'un sapin de Noël. Mais c'était son anniversaire, là. Quel cadeau offrir à quelqu'un qui a tout ? À un vrai gars du téléphone qui a, comme moi, commencé sa carrière en bas de l'échelle, à planter des poteaux à la barre à mine ?

La qualité du matériel PTT n'est plus à démontrer. En galvanisé massif, ça ne bronche pas sous les intempéries, ça résiste à tout. Olivier m'ayant toujours aimablement fourni ces diverses pièces désormais cultes, pour mes bricolages à la ferme, je décidai de le remercier par une œuvre faite avec ces boulons, ces tire-fonds, ces tendeurs, ces plaques de serrages, ces cornières à trous que nous avons tellement utilisés quotidiennement que, même écartelés, démembrés, tordus, soudés, sciés, j'étais bien certain qu'il les reconnaitrait comme frères au premier coup d'œil.

C'est une fille qui danse. C'est un peu le symbole de la femme idéale qu'il cherche avec constance et acharnement depuis qu'il est né. Il en a essayé suffisamment depuis mais, jouant de malchance, ce n'était jamais la bonne.

Celle-ci est solide. Mon souhait est qu'elle lui fasse de l'usage.