Mistral Cognant
Par Saoul-Fifre, samedi 28 mai 2005 à 12:35 :: La vraie vie :: #13 :: rss
J'ai posé le pied sur la Provence pour la première fois il y a de ça 21 ans et j'y suis resté collé. Pour moi, le négropède errant sans racines, le gars aux vingt déménagements pour qui toute terre est une plaque chauffée au rouge à mes pieds toujours sautillants, elle me fit office de Terre Promise, en attendant mieux, car elle n'est pas toujours là où on croit la trouver c);^) . Vous connaissez la chanson de Dj'awny Ali Dey, quand même ? Ça donne quelque chose dans ce genre :
La terre crame sous mes pieds
et je pue toujours la corne brûlée
et je m'essouffle après l'Amour
sans jamais jamais le rattraper
La terre promise n'est pas tenue
la commande pas toujours livrée
Je vais où mes chansons rapportent
Je ne fais rien qu'amasser...
Je me présentai donc à la douane de l'Empire du soleil et du Royaume des vents par Amour : je venais rendre visite à mon amie, rencontrée en Corrèze mais habitante et native d'ici. D'emblée, je trouvai les droits de douane exorbitants. Le royaume était sans conteste venté, il faisait un Mistral à "desbana li bioù" (décorner les bœufs), nous étions en plein hiver et il faisait vraiment un froid de canard (encore ! Thomas Fersen, c'était le mot "parapluie" qu'il glissait dans chacune de ses chansons et la Nothomb, c'est "pneu", d'ailleurs, elle me gonfle...). Et j'étais là, à me racorquir les nouilles, en Arles, au bord de la "113", pile dans l'axe du canal rhodanien et, croyez-moi si vous voulez, j'éprouvais une extrême difficulté à garder mon bras tendu à l'horizontale et mon pouce à la verticale, pour faire mon stop. Je vacillais, je m'arc-boutais contre les rafales, n'y voyant goutte, clignotant des paupières sur mes yeux pleins de larmes et je me disais, frigorifié : "quel sens de l'accueil, dans cette région !" quand une bonne âme, un "essetrangé", sans doute, s'arrêta pour me prendre. Toujours incroyable, mais vrai (car provençal et impossible ne sont pas français), entre Arles et Salon (50 bornes) nous avons doublé 2 voitures avec caravane, et une berline normale, RENVERSÉES par le vent ! Après chacune, mon bienfaiteur levait le pied et nous sommes arrivés à bon port à 30 km / h. C'était ça, le Sud ?!?!
La maison de mon amie n'avait qu'une cheminée comme chauffage et nous restions serrés devant, à écouter le souffle inquiétant des bourrasques, les tuiles exploser au sol, les arbres fouetter l'air... En panne de combustible, nous avons été obligés de sortir couper des branches mortes à la scie. De beaux arbres bien vivants avaient été déracinés. Je suis parti, revenu, reparti, venu à nouveau pour finalement rester. Nous voulions "d'la marmaille", comme chante Linda Lemay, et nous en avons eu. J'ai trouvé un travail sympa, en plein air. Aucune ironie là dessous, j'aimais vraiment mon métier mais rien n'est parfait. Je montais aux poteaux de téléphone, j'en plantais, je tirais des câbles... Mon patron (un malin) avait inscrit sa petite boîte privée à une convention collective de l'industrie qui ne prévoyait pas "les intempéries". Nous avions donc le choix entre travailler sous la neige, les grêlons, la pluie... ou bien perdre le salaire de la journée. Nous avons vécu deux hivers rigoureux : 85 et 86. Toute la partie aérienne des oliviers a gelé, comme pendant le terrible hiver 56, popularisé par l'abbé Pierre. Il n'y a pas eu de production d'huile d'olives pendant plusieurs années. Ni de la vierge, ni de la deuxième pression super chaude. Les pro-vent sots, les vré de vré, me disaient : "ici, le froid est sain et sec". D'abord, c'est une contrepèterie belge. Et ensuite, quand le mercure descend au niveau - 17 du parking souterrain, et que le Mistral prend son élan à Lyon, qu'il accélère et que les freins pètent dans la descente... Ayayaye ! Il traverse les manteaux en cuir, les gros pulls, il vrille, il tord, il mord, il pince, il perce, il serre... Comme vous attrapez une bonne bronco-pneumo-grippo-tachycardie (avec hypothermie persistante), ça vous refroidit un peu quant au côté sain du froid sec. Avec le climat océanique humide bordelais, j'étais enrhumé, point-barre. Mais le pire restait à vivre. Car, sauf événements climatiques exceptionnels, je vous accorde que la Provence n'est pas réputée pour ses basses températures. J'ai connu en Normandie de bonnes grosses caillantes équivalentes, mais, je le répète, sans ce côté "inquisiteur sadique" bien propre au Mistral.
Le pire est au dessus de nos têtes, comme un dard. Ne dit-on pas "darder ses rayons" ? Et "vespéraux", si on a sa carte de Pouète à jour de cotisations ? Et "zénithaux", s'il est midi au soleil et qu'on fait la journée continue ? Ho le mal de tronche ! J'ai l'impression que ma cervelle est en train de griller. Et moi qui la préfère "bleue", avec du persil ? Et le Mistral qui se lève ! Il pourrait nous rafraîchir, comme d'habitude, ce "marque-mal" ? Il est brûlant. On dirait le simoun. Comment peut-on supporter des chaleurs pareilles ? On peut pas. Le soir, j'avais 41° de fièvre. J'étais fébrilige, comme on dit ici. Alors ya la solution traditionnelle : encore aujourd'hui, on va se faire "tirer le soleil". Ha, le travail manque pas. La demande est supérieure à l'offre. Tout le monde connaît Unetelle ou l'autre, là, qui a reçu "le Don", de sa mère ou d'un sorcier yaqui-yaqu'a. Elle vous fait pencher la tête en arrière, vous pose un verre plein d'eau sur le front et récite une prière en Latin dessus (il parait que ça marche aussi avec "tu me fais tourner la tête", d'Edith Piaf). L'eau se met à bouillir dans le verre, elle la jette et en rajoute de la froide jusqu'à ce que ça ne bouille plus. Là, elle y met cinq doses de pastis, deux glaçons, un peu d'eau (pas trop, malheureuse, tu vas me le noyer et il va falloir recommencer du début). Elle te le fait boire cul sec (quand c'est sec, c'est sain) et tu es guéri. En tout cas, tu en est persuadé.
Avec le temps, je me suis endurci aux météores extrêmes de la Provence, mais il m'a fallu quand même plusieurs années. Pour la chaleur, je ne m'y suis pas encore fait, mais disons que j'ai pris le rythme officiel. Il y a un hymne officiel, La Coupo Santo, chanson à boire écrite par Frédéri Mistraou, qui parle de verres de vin remplis à ras bord et qui se chante en chœur à la fin et au début de tous les repas officiels... Et à la sortie de la messe. Et quand le maire arrive. Et il y a un rythme officiel : on arrête de travailler quand ça commence à être intenable et on reprend quand ça recommence à être supportable. A part qu'on s'arrête de plus en plus tôt et qu'on redémarre de plus en plus tard pour s'adapter à un tout petit problème mondial dont vous avez peut être entendu parler : le réchauffement de la planète. Je sais pas chez vous, mais nous, on est en plein dedans : les deux dernières années détiennent le record de pluviométrie basse. On a reçu 200 mm d'eau / an alors que la moyenne annuelle sur 100 ans est de 650 mm. Ça craint. En température, dans la liste des 6 années les plus chaudes du siècle, on trouve les 5 dernières années. Je ne suis pas statisticien, mais il me semble difficile de s'en sortir avec une pirouette genre "c'est un cycle". Comme on sait que notre société industrielle produit du chaud, des gaz qui grignotent la couche d'ozone (notre protection contre les ultraviolets et donc contre les cancers de la peau) du gaz carbonique, de la pollution (qui forme une couche qui augmente l'effet de serre), moi, le scientifique qui me dit "il va bientôt y avoir une nouvelle période de froid", je le regarde bizarrement.
Je trouve que le climat d'ici est très dur. Je trouve qu'il est de pire en pire et nous flippons même méchamment, car qui dit sécheresse insistante dit incendies récurrents... Nous n'avons jamais compris les hordes déferlantes qui venaient envahir le littoral : l'eau est trop chaude, les parkings sont à Pétahouchnock, la bouffe est dégueulasse, les prix scandaleux... Quel plaisir autre que masochiste y a t'il à faire des milliers de kilomètres pour étendre sa serviette sur du gravier ou des galets (côte d'azur) à 10 centimètres de son voisin, sur une plage pleine comme un œuf, alors qu'à l'intérieur des terres, le séjour avec piscine, chaise longue, gazon, arbre, et personne autour vaut 2 fois moins cher ? Pourquoi des vikings à la peau fragile viennent-ils se faire revenir la couenne à l'huile solaire et s'appliquent-ils à eux-mêmes la recette du homard thermidor ? Pourquoi cette fascination pour la mer alors qu'un petit ruisseau ombragé est tellement plus rafraîchissant et dépaysant ? Autant de questions toujours sans réponses en l'état actuel des recherches.
En tout cas, nous, dès que le cagnard devient trop virulent, on s'en va chez les nordistes. Les bouchons, on sait ce que c'est : on les croise !
Commentaires
1. Le samedi 28 mai 2005 à 19:27, par Tant-Bourrin
2. Le mardi 30 août 2005 à 09:41, par Audalie
3. Le mardi 30 août 2005 à 10:16, par Saoulfifre
4. Le mardi 30 août 2005 à 12:35, par audalie
5. Le lundi 27 mars 2006 à 10:03, par Twig
6. Le mercredi 18 juin 2008 à 10:42, par Andiamo
7. Le mercredi 18 juin 2008 à 13:42, par Saoulfifre
8. Le mercredi 18 juin 2008 à 17:18, par Andiamo
9. Le mercredi 23 février 2011 à 17:13, par Oncle Dan
10. Le mercredi 23 février 2011 à 18:28, par Saoulfifre
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