mardi 26 avril 2011
Le roi des cons
Par Saoul-Fifre, mardi 26 avril 2011 à 00:02 :: Saint Thèse, priez pour nous
Des jours et des jours que je suis dans la préparation de mes semis de printemps, particulièrement dévoreurs d'hectares cette année. Et que je te broie les mauvaises herbes, et que je te les détruis par des passages croisés de "disques", un deux trois passages, plus un dernier avec la herse, pour bien affiner le lit de semence, afin que la graine se trouve si bien à son aise dans son petit nid moelleux qu'elle va y germer à vitesse grand V, si bien sûr le Grand Aygadier est d'humeur à relever la martelière retenant les eaux du ciel. Ça en fait des va-et-vients, du gasoil brulé et ensuite il faut atteler le semoir, bien le régler pour que la graine soit déposée à la bonne profondeur, ni trop ni trop peu, puis le rouleau pour bien rappuyer...
Et si par malheur il pleut avant que tout le processus soit bien fini, et ben il faut recommencer.
Je suis donc là, sur mon char d'Avto, un peu angoissé par les incertitudes de mon activité, plus dictées par le hasard que par des lois physiques gravées dans le bronze de toute éternité et, tout en restant concentré sur la rectitude de mes passages, je me laisse aller à jeter régulièrement un coup d'œil autour de moi pour voir où en est la concurrence.
Ben oui quoi : la concurrence. Car la Nature elle aussi est en pleine action primesautière. Le Printemps est sa saison "sexe" et en ce moment, elle ne pense qu'à "ça", je vous le garantis. L'accouplement "charnel" entre fleurs mâles et femelles n'étant pas raisonnablement envisageable chez les végétaux, il est plus juste de parler de masturbation intensive du côté des garçons et d'attente active voire attractive du côté des filles, toutes corolles ouvertes et pistils tendus dans l'espoir d'une caresse du vent ou de la visite d'un insecte pollinisateur, l'un ou l'autre porteur du petit cadeau tant attendu.
La production de pollen est à son maximum et quand yen a plus yen a encore, ai-je envie de dire. Quand mon tuyau d'échappement accroche en bout de raie une branche de cyprès un peu trop longue, c'est un véritable essaim jaune vif qui me tombe dessus et m'enveloppe. Et tout en regrettant que mon tracteur n'ait pas de cabine, je remercie la providence de ne pas m'avoir voulu allergique.
Quand le vent s'en mêle, ce sont de vastes nuages épais que l'arbre libère et chaque grain de pollen s'envole gaiement vers son destin, sa fleur-sœur aléatoire, en chantant va où le vent te mène d'Angelo le speedé.
Mais par calme plat, c'est à de véritables éjaculations que l'on peut assister : l'arbre crache son sperme, il le pulse, le fait jaillir comme si un tuyau de compresseur pneumatique était caché dans la branche ! Comme chez le concombre d'âne, capable d'éjecter ses graines à plus d'un mètre, l'existence d'une "pression interne" chez des végétaux ne laisse pas que de m'épater.
En levant le nez, je peux assister à une autre armada conquérante, celle de mes adversaires, de mes concurrents directs. Sans aucune pudeur, sous mon propre nez, l'Empire des Mauvaises Herbes contre-attaque. Leurs graines ailées, vaisseaux aux formes bizarroïdes, sillonnent le ciel à différentes vitesses et directions selon les caprices du vent car les coucheries dont j'ai parlé tout à l'heure, c'est bien joli, mais il convient maintenant que la graine, fruit de ces torrides fécondations, trouve le logement adéquat où élire domicile. Prises en stop par le vent, l'eau, les vêtements (ces petits cônes-velcro si irritants sur vos lainages) ou carrément après un passage par l'intestin d'un oiseau ou autre animal sauvage, ces graines feront tout pour s'éloigner de leur géniteur et coloniser le plus vaste territoire.
Technique remplie d'aléas divers certes, mais la quantité de pollen initiale est tellement gigantesque et le nombre de semence en résultant si élevé qu'un peu de gaspillage, de destruction, de ratages ne nuit en rien à l'efficacité du système naturel.
Et c'est comme ça qu'en s'en remettant au hasard, aux éléments naturels, sans gasoil, sans travail, sans inquiétude, sans argent, à la je-m'en-foutiste, quoi, la Nature arrive à semer de rouges champs de coquelicots, bien réguliers, du travail de pro, vraiment, si beaux qu'un jour un peintre du dimanche se prenant pour Van Gogh a posé son chevalet devant, pour l'immortaliser.
La honte.
Je suis vraiment le roi des cons de me compliquer la vie comme ça !
Alors que ce serait si simple et rémunérateur de me lancer dans la récolte du pavot ?