Le doux soleil de juin a enfin réchauffé l’immense forêt de bouleaux de la Sibérie orientale, entrecoupée de plaines que l’on appelle : Toungouska.

Les immenses troupeaux de rennes trouvent une herbe grasse, parsemée de fleurettes si douces sur leurs langues. Le long hiver sibérien les a amaigris, mais bien vite ils referont leurs réserves de graisse en vue du long hiver qui ne tardera pas. Les étés sont courts, très courts dans cette région !

Ce matin de juin, Georgii s’est levé très tôt. Il a préparé en silence un peu de thé, en faisant le moins de bruit possible. Sous la yourte dorment encore son père sa mère ainsi que son épouse Alyosha. Quel doux prénom ! Il aime le murmurer pour lui seul… Alyosha. Youri, son garçon âgé de dix ans, et sa fillette Feodora, huit ans, ses deux soleils comme il les nomment affectueusement.

Les femelles vont mettre bas, il en a repéré plusieurs qui étaient prêtes. Peut-être que certaines se sont délivrées durant la nuit, il convient d’aller inspecter le troupeau au plus tôt.

L’air est un peu frisquet ce matin. En poussant la « porte » de la yourte faite d’une peau de renne, soigneusement lacée à l’un des montants, il est surpris par l’étrange lueur mauve qui baigne la toundra. Un peu en avant, il aperçoit la rivière « Toungouska pierreuse » qui a donné son nom à cette région.

Georgii a choisi cet endroit en raison de l’eau toute proche, qui offre de quoi s’abreuver au troupeau. Il peut ainsi, quand l’herbe devient plus rare, se déplacer en suivant la rive. L’eau de la rivière s’est également parée de cette étrange couleur mauve.

Lentement Georgii lève la tête, sa bouche s’affaisse, ses yeux s’écarquillent.

Juste au-dessus de lui, un étrange objet semble flotter. A priori, sa taille est colossale, il semble planer à une hauteur assez conséquente. Nous sommes en l’an de grâce 1908, et Georgii n’a jamais vu d’avions, ni de ballons dirigeables ou pas ! Il sait que cela existe, mais c’est très loin de ses préoccupations.

L’engin, nous le nommerons ainsi, ressemble à peu près à ce petit croquis.

(ch'tiot crobard Andiamo pour Blogbo)


Georgii ne peut détacher son regard, il est comme hypnotisé. D’autant que la couleur semble « pulser ». Le halo mauve qui l’entoure semble se contracter puis s’expanser selon un rythme bien régulier.

L’angoisse le saisit, lui d’ordinaire si calme. Habituellement, il n'y avait aucune raison de s’inquiéter, la vie est rude ici, pas facile, mais il y est habitué.

Georgii est né sous la yourte, comme son père et son grand-père avant lui, ses enfants également, et les enfants de ses enfants y naîtront aussi… Il en sera toujours ainsi, songeait-il en ces années du début du XXème siècle.

L’homme sent que cette « chose » là, au-dessus d’eux, est une menace ! Il ne sait pas comment l’expliquer, il connaît bien cette région, ses pièges, ses brusques tempêtes de neige, effroyables, à quelques mètres de la yourte on peut se perdre et mourir de froid.

Tout ça, il le connaît, mais ce qui flotte au-dessus de lui, il ne connaît pas : alors il panique un peu.

Il retourne sous son abri et réveille d’abord son père. L’ancien a peut-être déjà vu ça, ou en a entendu parler, il saura lui !

Le vieillard est sorti. Il a vu le regard effrayé de son fils, il sait qu’il est inquiet, les mots sont superflus, un seul regard a suffit.

Dimitri lève les yeux, puis baisse la tête, son crâne oscille de gauche à droite, il est effrayé lui aussi.

De retour dans la yourte, il explique qu’il n’a jamais vu ça, ni même entendu parler de cette chose.

Tout le monde est maintenant réveillé. Georgii a expliqué, mais a interdit que l’on sorte. Il sait que leur abri est dérisoire, et que si cette chose leur veut du mal, le pauvre abri fait de peaux de rennes est un rempart bien dérisoire !

Soudain, sans un bruit, un homme est apparu. Il se tient debout, un peu plus grand que Georgii, la peau très claire, des vêtements un peu différents des leurs, l’homme les regarde, ses lèvres ne bougent pas mais il leur parle. Pas avec des mots, plutôt avec des images qui défilent dans leurs têtes.

Ces images sont effrayantes, on y voit tout d’abord l’engin immobile, les pulsations s’accélèrent, puis il enfle et éclate ! Une boule de feu immense s’étend, le souffle de l’explosion couche les arbres. Sur un immense périmètre toute vie a disparue !

Puis une onde apaisante envahit leur cerveau, « il » leur demande de partir, de n’emporter que le nécessaire, fuir au plus vite, mettre le plus de verstes possible entre eux et leur machine qui est condamnée.

S’en suit une explication qu’ils n’ont pas trop compris : accumulateur d’énergie, défaillance du système de contrôle, rupture des dispositifs de sécurité, désintégration imminente, deux peut-être trois jours…

La « voix » devient impérative : FUIR, emportez le minimum, sauvez vos vies, partez !

Georgii aidé de son père a attelé le travois à deux rennes, a chargé le minimum, l’indispensable, ils sont partis, suivant la rivière.

Le premier jour, ils ont parcouru une vingtaine de verstes, le second, le terrain était plus difficile, quinze seulement.

Enfin, à l’aube du troisième jour, à sept heures quatorze exactement, alors que le ciel pâlissait à peine à l’est, une immense boule de feu a embrasé le ciel. Ils se sont aussitôt couchés comme la « voix » le leur avait recommandé.

Un souffle terrifiant est passé au-dessus de leur tête, le petit monticule derrière lequel ils se sont abrités les a protégés, quelques secondes plus tard, un bruit terrifiant a fait exploser leurs tympans. Ils ont vu c’est vrai, des arbres passer au-dessus d’eux, comme des brindilles emportées par les bourrasque de l’orage.

Le déluge de feu et de vent a semblé durer une éternité, quand ils se sont relevés, plus un arbre n’était debout, ils ne reconnaissaient plus ces paysages autrefois familiers.

Georgii a pensé : j’ai vu l’enfer !


Le trente juin 1908 à sept heures quatorze très précisément, dans une région de la Sibérie orientale nommée Toungouska, une explosion d’une violence inouïe, équivalente à cent fois Hiroshima, a dévasté une forêt sur un rayon de plus de vingt kilomètres, couchant tous les arbres ! Les dégâts ont atteints un rayon de plus de cent kilomètres !

L’observatoire sismologique d’Irkoust situé à plus de mille kilomètres a enregistré le séisme, la déflagration a été audible jusqu’à 1500 kilomètres !

Les moyens de déplacements de l’époque n’étaient pas ceux d’aujourd’hui loin s’en faut ! Puis les évènements d’octobre 1917 en Russie ont fait que la première expédition n’a été présente sur le lieu de la catastrophe qu’en l’an de grâce 1927 soit 19 ans plus tard…

Et jusqu’à aujourd’hui nul ne savait ce qui avait provoqué un telle catastrophe !



NOTA : je serai absent quelques jours, si vous me faites le plaisir de laisser des commentaires, j'y répondrai dès mon retour.