Je vous ai raconté dans un précédent billet mes vacances en Auvergne, je venais d’avoir neuf ans. L’année suivante, nous y sommes retournés, j’avais donc :…. BRAVO !

Toujours ce même village auvergnat qui s’appelle Cunlhat (on prononce toujours CUN YAT), un village typique des années quarante (on ne dit, ni ne pense : vieux machin), qui nous plaisait bien.

Cette année-là (1949), les sœurs qui tenaient l’hospice dans lequel ma mère et quelques autres louaient pour pas cher des chambres durant les vacances, avaient loué une piaule à une Mamie accompagnée de ses trois petits-enfants : deux garçons, une fille, sensiblement du même âge que nous (mon frangin, ma frangine et moi).

La fille, « Babette », je m’en souviens encore : élevée avec deux garçons assez turbulents eux aussi, elle en avait pris les manières, ainsi elle pissait debout comme les hommes, en prenant soin d’écarter les jambes afin de ne pas mouiller ses socquettes !

Un jour, elle se fait gauler par une sœur alors qu’elle était en train de satisfaire un besoin naturel… Scandale ! La sœur fait son rapport à la supérieure qui est venue trouver la mère-grand. La Mamie lui a rétorqué : « et alors ? Elevée avec deux garçons, vous ne voudriez pas que ce soit eux qui s’accroupissent pour pisser ? »

Décidément, je l’aimais bien cette Mamie-là, bien sympa.

Un jour, grand branle-bas : voyage organisé en camion, à notre Dame du Puy. Avec les frangines, on n' aurait pas fait la tournée des boxons de Clermont-Ferrand, tu penses. Mais à bien y songer, à dix ans, ça ne m'aurait guère intéressé.

Départ à l’aube dans un grand camion plate-forme avec ridelles, banc de bois posés à même le plancher. Je vois ça aujourd’hui ! Vachement dangereux, un virage brusque ou un coup de frein violent et tout le monde se retrouvait pêle-mêle, avec des jambes cassées à coup sûr, mais à l’époque nul ne songeait à cela, et la circulation était quasiment inexistante.

Nous voilà partis, chants joyeux accompagnaient les lacets des routes auvergnates. Pas des trucs religieux, mais pas les trois orfèvres non plus (vous voulez que je vous les chante ?) Vers midi, déballage des paniers avec le pique-nique. J’ai un vague souvenir de cette journée, je ne me souviens plus du tout de Notre Dame du Puy : les trucs religieux, ça n’était déjà pas ma tasse de thé, ou mon bol de chocolat, à dix ans, n’est-ce pas ?

Mais ce dont je me souviens, c’est LE RETOUR…

Voilà que tout à coup le ciel s’obscurcit… TIN TIN TIN (musique d’ambiance) ! Un éclair zèbre le ciel. Vous avez remarqué ? Les éclairs zèbrent toujours le ciel dans les romans, ils ne le girafent pas, pas plus qu’ils ne l’éléphantent.

Et voilà l’averse ! Quand il pleut en montagne, ça ne plaisante pas, des seaux vous dis-je, et l’autre branque avec son bahut qui n’avait pas prévu une bâche. Les sœurs avaient débité un p’tit chapelet avant de partir : voilà qui nous garantissait un temps magnifique.

Depuis le temps que le grand barbu entend des prières il doit être sourd, il n’en a rien à secouer de nos misères ! Et dire que certains l’appellent le BON Dieu, ouais parce qu’il y a des MAUVAIS Dieux. Je pense qu’il n’y en a pas du tout, car soyons objectifs, ça reste une hypothèse ? Tentante certes, mais une hypothèse.

J’en étais resté au déluge qui s’abattait sur notre pauvre camion, et là tout à coup je vois les cornettes des sœurs qui commencent à s’affaisser : l’amidon, qui les tenait rigides, se liquéfie sous l’orage et voilà les coiffes qui commencent sérieusement à ressembler à des oreilles de cocker.

Je me marre comme de juste, ma mère qui me balançait des coups de coude dans les côtes. Gênée elle était ma brave Maman, devant le manque de respect du fiston.

Au bout d’un moment, elles les ont retiré les cornettes. Sous cette coiffe, elles portaient un sorte de toque blanche, leur couvrant entièrement leur boule à zéro !

Au cours des ces vacances, nous « montions » parfois à l’Alleyrat.

L'Alleyrat, c’est un lieu dit, ou bien le nom de la ferme qui s'y trouvait. Pour s'y rendre, si je me souviens bien, il fallait marcher une bonne heure. Par beau temps, c'était très agréable, et les gamins il faut les fatiguer un peu, "user les piles" comme je dis à mes petits enfants, afin que la nuit soit bonne.

Beau morceau de grimpette, mais à l’arrivée, la récompense. La ferme ! Avec les vaches, les cochons, les oies... Nous jouions tous les trois un bon moment, pas trop près du jars, tu penses. Au moment du goûter la fermière allait nous traire une casserole de lait.

Du lait « bourru » avec le jaune de la crème qui surnageait, ce lait encore tiède nous le buvions goulûment, accompagné de tartines de gros pain au goût inimitable, une bonne couche de confitures de myrtilles faites "maison". J’en ai encore le goût au palais quand j’écris ces lignes.

Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui on autoriserait une fermière à vendre son lait de la sorte. Même les fromages sont fabriqués avec des laits pasteurisés ! Mamans qui allaitez vos bébés, un jour, il vous faudra recueillir votre nectar, le faire bouillir avant de le dispenser à vos chers petits !

Tout compte fait, je ne suis pas mécontent d’avoir connu une époque où on ne nous cassait pas (les couilles) les pieds avec toutes ces mesures à la con !