L'esprit carabin, je crois bien être tombé dedans étant tout petit. Dès mon plus jeune âge, j'utilisais déjà mes qualités artistiques pour imiter des billets de 10 Francs et les laisser trainer dans la rue accrochés à un fil. Quelle rigolade, pour mon frère et moi, du haut du balcon paternel, de voir les passants courir après cet argent sans pouvoir l'attraper. Un gag vieux comme le monde, certes, mais utilisé encore de nos jours dans les caméras cachées... En fait c'est plus tard que tout a vraiment commencé, lorsque je fis connaissance avec le Finos'Club.

Comme son nom l'indique, le Finos'Club était une bande joyeux drilles pas toujours très fins, habitant la banlieue bordelaise. L'un d'eux était étudiant comme moi et m'avait raconté les exploits de ses compères dans les rues de Bordeaux. Le soir même, j'étais invité à participer à une de leurs folles patrouilles. Avant de partir, je pris le soin d'emmener quelques munitions, on sait jamais : une grenade à plâtre et un fumigène récupérés par mon frère à l'armée, et me voila embringué dans leur folle équipée. Pierrot, un rital hirsute à la voix tonitruante, avait pour spécialité de jaillir hors de sa voiture tel un diable de sa boîte, en hurlant après les passants. Sa voix était si résonnante et tellement puissante que l'effet en était hilarant. De temps à autre, quand l'envie lui en prenait, il n'hésitait pas à s'arrêter en plein milieu d'une rue pour ouvrir son capot, simulant une panne, et provoquant ainsi un immense embouteillage. Un autre prénommé Daniel, de petite taille, avait pour habitude de profiter des encombrements pour escalader toute la file des voitures les unes après les autres, comme on fait un parcours de haies. Il le faisait avec une telle agilité que c'en était désopilant pour tout le monde sauf pour les conducteurs. Daniel avait un sacré palmarès : il avait réussi entre autres, à se faire éjecter de l'armée après avoir totalement détruit dans un accident, 2 chars AMX30. Excusez du peu... Pour en revenir à la patrouille, nous arrivons place Gambetta, dans la Simca 1000 vert-pommme de Joël, et je décide d'utiliser mes munitions. Une grenade à plâtre abandonnée juste en face de la terrasse d'un grand café, une énorme détonation, et le résultat : tous les consommateurs transformés en arbres de Noël. Ouuaaarf, la rigolaade ! Nous refaisons le tour de la place pour mieux profiter du spectacle et narguer nos victimes, puis nous passons sous le pont de Meriadeck. Là, je lâche le fumigène. Ici aussi, nous faisons sensation : devant la fumée, tous les véhicules s'arrêtent, certains automobilistes font même demi-tour impressionnés par le nuage. Les pompiers arrivent, on en demandait pas tant !

Dès lors, j'étais adopté, j'avais réussi mon examen de passage et pouvais intégrer ma nouvelle bande de copains. L'un d'eux, un camionneur nommé Joël, eut vite fait de remarquer ma 4L beige qui ressemblait à s'y méprendre à celle des gendarmes. L'idée fut lancée aussitôt, et dès le lendemain vêtus de chemises bleues, d'un sifflet et d'un képi, nous voilà tous transformés en pandores, arrêtant et poursuivant les gens dans les rues. Le plus gros gag fut lorsque de vrais policiers nous contrôlèrent à leur tour peu après une de nos frasques. Je n'oublierai jamais le regard éberlué que nous lança notre dernière victime en passant devant nous : "des flics arrêtant des flics", il avait dû croire assister à la guerre des polices... Mais nous avons eu notre revanche plus tard, lors des manifs étudiantes de mai 83. Après avoir dépavé quelques rues, nous avions renversé une voiture de police et nous étions approprié son appareil radio que nous avions adapté sur la voiture de Joël : l'appareil fonctionnait très bien et nous entendions distinctement les pandores annoncer qu'ils venaient de retrouver un véhicule volé. Nous décidâmes d'aller voir sur place, mais Joël préféra attendre notre retour dans sa voiture en écoutant le radio émetteur. Quelle ne fut pas sa surprise et son hilarité quelques intants plus tard, lorsqu'il entendit dans le poste une voix annonçant que 5 individus louches roulant dans une 4L beige aux pneus lisses et au pot d'échappement bruyant venaient d'être verbalisés ! (1) Toujours pendant les grèves, nos victimes suivantes furent les cheminots de la SNCF : nous avions installé des fils métalliques entre les 2 rails des voies ferrées, provoquant ainsi le passage au rouge de tous les feux de signalisation, et immobilisant par là-même tous les trains de la région. Nous avons eu les honneurs des journaux nationaux, ce jour là, certains s'en souviennent peut-être ! Des gags de rue, on peut dire qu'on en aura fait : je passerai sur les pétard dans les boîtes aux lettres à 4 heures du matin, par contre, le flacon de Mir dans une fontaine publique, essayez et vous verrez ; pour les amateurs de mousse, je garantis le résultat... Nos franches rigolades nous arrivaient aussi auprès de la gent féminine, comme ce jour où en longeant la plage, nous avions repéré 3 naïades en bikini qui nous observaient en souriant. Aussitôt les "coucou" fusent avec de grands signes de la main, nous marchons en les regardant et tout à coup, nous empalons chacun dans un réverbère sous les éclats de rire de nos spectatrices !

Mais j'avançais en âge ; désormais, j'étais "interne des zôpitôô" . J'intégrai l'internat de Périgueux. A cette époque, dans un amphithéâtre de 750 carabins, dire que l'ambiance était Rabelaisienne eût été un euphémisme. Chacun apportait sa note d'humour et de burlesque pour ponctuer les cours de nos profs. Mais cette année là, il faut croire que la crème des crèmes de notre faculté s'était donné rendez-vous à Périgueux. Quelle équipe, mes amis, et quelle ambiance ! Nous étions jeunes, inventifs, pleins d'initiatives, et parfaitement décidés à bien nous amuser. Certains internes étant trop sérieux à notre goût, nous nous étions mis en tête pour les dérider, de leur préparer une bouffonnerie pour chaque soir, et nous avons tenu parole. Je passerai sur la première soirée qui dégénéra en bataille d'extincteurs à eau, d'oeufs et de fromages blancs qui atterrissaient presque toujours sur les mûrs (difficile de viser au delà de 2 grammes). Mais je n'oublierai jamais la bouille de notre ami Jean-Marie, lorsqu'un matin, il découvrit ahuri, sa 2-chevaux garée en plein milieu de la salle à manger de l'internat. On peut dire qu'on s'était appliqué ce jour là : il nous avait fallu non seulement démonter les ailes avant du véhicule, mais ses 4 roues, et le faire glisser en le faisant pivoter sur les charriots à roulette des femmes de ménage, pour lui faire traverser les étroites portes de la salle à manger, quel chantier!

Un autre soir, une étudiante un peu pimbêche, qui répondait au surnom de Totoche, eut la drôle de surprise en regagnant son lit, de sentir frétiller entre ses jambes, une dizaine de grenouilles que nous avions gentiment disposée sous ses draps. "Totoche on la lève fastoche" avions-nous même écrit sur le mur de la salle à manger.

Un autre étudiant, qui passait des nuits entières à bûcher son internat, reçut la juste punition de se réveiller complètement muré dans sa chambre. Oui, nous étions aussi maçons à nos heures. Le cas de cet étudiant était grave, car en construisant ce mur,nous nous étions livrés à une véritable bataille de plâtre juste devant sa porte sans qu'il ne réagisse, trop absorbé qu'il était par ses chères études. Ah nous étions mignons ce soir là, tout recouverts d'enduit de la tête aux pieds, tels les statues de Pompéi. A propos de plâtre, il arriva qu'un collègue pneumologue fut invité à un bal costumé dont le thème était "l'Antiquité". Le malheureux eut la malencontreuse idée de se déguiser en momie égyptienne et d'aller préparer ses bandages aux urgences de l'hôpital. Pour ce qui est de bander, nous l'avons bandé, de la tête aux pieds. Mais ce qu'il n'avait pas vu, c'est qu'une bassine d'eau trônait au milieu de la pièce. Chacun trempa en même temps sa bande plâtrée dans l'eau; nous étions 6, et en moins de 20 secondes, Toutankhamon se retrouva transformé en statue de plâtre que nous chargeâmes sur un brancard et conduisîmes illico sur les lieux de sa soirée costumée. Le plus comique fut que la nuit étant très froide, le plâtre encore humide fumait, et un automobiliste fut tellement ahuri de nous voir décharger cette statue humaine fumante, qu' il en perdit le contrôle de son véhicule et alla s'encastrer dans la voiture d'en face. Il n'y eut que de la tôle froissée, je vous rassure. Chanteurs, nous l'étions aussi, les paillardes étaient de toutes nos soirées. Nous étions aussi musiciens et avons eu notre heure de gloire, avec notre photo en première page dans "La Dordogne Libre" lors de la première fête de la musique. Même si notre fanfare jouait aussi faux que possible, elle jouait très fort et surtout très souvent. Des concerts étaient improvisés à des heures indues, au grand dam de nos colocataires, et même des malades de l'hôpital dont une, qui était prof de musique, avait même déposé plainte auprès du directeur de l'hôpital. Sa lettre était assez hilarante, elle avait reconnu tous nos instrument : trompettes, saxo, trombone, grosse caisse, fifre, j'étais clairon à cette époque.

Inutile de dire que certaines de nos soirées étaient absolument phénoménales, j'en garderai un souvenir impérissable. D'autres soirée dégénéraient en batailles de seaux d'eau. Je me rappelle même qu'au matin d'une rude nuit d'hiver, la gigantesque mare d'eau que nous avions laissée avait gelé pendant la nuit transformant notre salle à manger en véritable patinoire. La gouaille joyeuse et l'argot incomparable de notre fine équipe n'avait vraiment rien à envier aux dialogues d'Audiard. Et seules les scènes de Pagnol étaient comparables à nos parties de belote. Nos spécialistes de l'humour pince-sans-rire, n'étaient jamais à court de jeux de mots. Ils savaient plaisanter sur tout, transformant nos journées de travail en agréables divertissements. Heureuse époque... Mais que sont donc devenus nos amuseurs d'antan?

L'esprit carabin ne m'a jamais vraiment abandonné. Tout récemment encore, quand j'exerçais en cabinet de groupe, il arrivait de temps en temps, que grâce à un haut-parleur bien placé et branché sur mon ordinateur, les consultations de mes collègues soient brusquement interrompues par le cri de Tarzan dans la jungle ou la barrissement d'un éléphant. L'effet en est irrésistible, pour le praticien comme pour le client. Le grognement du cochon qu'on égorge, que j'imite à la perfection, fait aussi son petit effet, sans parler du célèbre "Ha oui c'est vraiii ça" de la mère Denis. Mes collègues ne s'en sont jamais plaint, car eux sont bien placés pour le savoir, le rire est bon pour la santé !

(1) Ce radio-émetteur a été rendu à son propriétaire. J'ai su plus tard que notre larcin avait failli lui coûter sa carrière, mais nous n'en étions pas conscients. Tout ce que nous faisions était fait sur le ton de la farce.