C’était une meuf gaulée comme un paquet d’Ninas : les pattes antérieures droites comme des « I », 95 « C », 62, 92, un mètre soixante-douze et une tignasse rousse a fait pâlir un Van Dongen !

Dans sa cité pourrave de Saint-Denis, on l’appelait : Tas d’rouille, biscotte ses tifs roux. Elle était toujours sapée façon vamp : débardeur sans soutif, bottes cuissardes rouges, bas résilles noirs, de quoi faire soulever les pierres tombales du Père Lachaise.

Un beau matin, alors qu’elle se rendait chez sa vioc, une Mamie soixante-huitarde attardée qui crêchait près de la gare du Nord, rue de Rocroy, elle croise Momo qui faisait le kakou sur son scoot…. Enfin, quand je dis « son » scoot, c’était plutôt un tas d’ferraille qu’il avait chourré la veille dans la cité Gagarine.

- Salut Tas d’rouille, où qu’tu vas ?

- A Pantruche, chez ma vioc, je lui porte comme toutes les semaines sa boutanche de « Label 5 », un whisky fond d’cuve juste bon à déboucher les cagoinsses, une barrette de chit, et une cartouche de gauldos. J’me magne le fion, faut que j’sois à la gare de Saint-Denis dans un quart d’heure, j’ai juste le temps de sauter dans l’dur.

- Ouais z’y va ! Grimpe, j’t’emmène, j’ai rien à branler aujourd’hui !

Comme d’hab. songea Tas d’rouille, mais elle ferma sa dalle, biscotte trouver un geonpi qui l’emmenerait gratos rue de Rocroy, au lieu de s’cloquer un R.E.R pourrave, ça n’était pas gagné d’avance. Elle enfourcha le scoot retroussant plus que de raison sa micro-jupe rouge.

Momo voulant profiter du panorama, règla le rétro non pour voir la route, mais pour mater la couleur du string de sa passagère. Ce qui occasionna immédiatement la mise en route d’un processus, dont je vous tairai les conséquences.

Après trois ou quatre feux grillés, cinq ou six refus de priorité, une bonne dizaine d’automobilistes priés d’aller se livrer à un inceste avec leur mère, ils arrivent rue de Rocroy.

Momo cloque le scoot entre deux tires. Pendant ce temps, Tas d’rouille a sonné sa vioc.

- Bonjour Mamie, c’est moi !

- Ah, que ça me fait plaisir ! Compose le code, il n’a pas changé… (t’as vu point de chevillettes ni de bobinettes qui choient, faut vivre avec son temps, non mais !)

Momo se pointe, puis suit Tas d’rouille dans l’étroit escadrin, jusqu’au sixième.

Il souffle comme un bœuf, les deux ballots d’foin clopés chaque jour, de la Marlboro de contrebande, y sont sans doute pour quelque chose.

- Ben dis donc, Momo, t’es en train d’cracher tes éponges ! Tu devrais reprendre une cuiller de sirop, lui dit-elle en lui tendant une clope !

- Tu m’charries, allez grimpe !

Placé cinq ou six marches plus bas, Momo n’en paume pas une broque. Le joli valseur de la grognasse se balance doucement, au gré des marches. J’vais m’la faire, songe-t-il, j’estourbis Mamie et à moi Tas d’rouille, la barrette, la cartouche, et le pieu de whisky, y’a pas de petit profits !

Toc, toc, toc !

- Entre ma belle, je t’attendais.

- Mamie, je te présente Momo...

Un regard circonspect de bas en haut, et un « mouais » dédaigneux à l’encontre du sus nommé.

Une petite entrée, un portrait du « Ché » accroché sur un papier pisseux, des baguettes d’encens qui fument dans un verre à moutarde, un vieux 33 tours grésillant tourne sur une platine hors d’âge (pas comme le Label 5) diffusant une musique de Ravi Shankar. Mamie fringuée façon Hippies grande époque, sari chatoyant, grands colliers de perles en bois, sandalettes aux pieds et bien sûr, pour parachaver le tout, un bandeau orange ceint son front.

Elle est encore pas mal, Mamie, songe Momo. Elle a à tout casser à peine soixante balais, mais elle tient la route ! Bien sûr, elle a dû dérouler du câble, mais c’est plutôt un avantage.

Tas d’rouille sort de son sac à dos les petites « provisions » qu’elle a apportées pour sa Mère grand. Après avoir repoussé quelques objets traînant sur la table, dont une boîte de capotes, elle étale ses offrandes.

- Merci ma chérie !

La vieille Dame enlace sa petite fille.

C’est le moment que choisit Momo pour sortir son Eustache ! CLAC ! Fait la lame en se détendant brusquement.

- Allez la vioc, et toi aussi Tas d’rouille, file-moi tout ça, et toi file-moi ton blé, dit-il en regardant Mamie dans les yeux.

Sans s’affoler, la chère grand’mère s’est dirigée vers une petite commode Chinoise, laquée comme il se doit, et en a sorti un joli coffret.

- Toutes mes éconocroques sont laga, a-t-elle murmurée avec des sanglots dans la voix.

- Lui file pas Mamie à c’t’enflure, a hurlé Tas d’rouille !

- Laisse béton ma puce, c’est lapuche…

Au moment ou elle tend le coffret à Momo, il lui échappe. Momo dans un réflexe veut le rattraper, c’est le moment que choisit Mamie pour lui choper les joyeuses, et elle serre de toutes ses forces.

Momo hurle de douleur, laisse choir son surin, Tas d’rouille s’en saisit, puis, prenant son portable, elle shoote Momo et balance le tout sur la toile…

Putain le BUZZ ! La vidéo, : Momo hurlant comme un goret, et Mamie qui lui serre les loukès'. La honte pour Momo ! Ses potos qui le charrient grave ! En moins de vingt-quatre plombes, tout le neuf-trois était au courant.

Moralité : quand t’es pas gaulé pour jouer les loups, fais-toi berger.

(Tas d'rouille, ch'tiot crobard Andiamo)