Putain, ça m'inquiète, depuis quelques temps, je me mets souvent à faire de la marche arrière.

Un des chintoques de service disait que l'expérience est une lampe que l'on a dans le dos pour éclairer le chemin parcouru... J'ai comme l'impression que je vais devoir envisager des phares à longue-portée...


Ma famille n’a jamais milité dans quoi que ce soit, mais les informations coulaient naturellement. Ma mère avait cette sagesse naturelle qui lui faisait chercher ailleurs ce que la propagan…Rheum !  

L’information officielle voulait se faire passer comme vérité toute nue et virginale. Il faut dire qu’elle avait une confiance assez limitée dans le monde politique, peut-être depuis qu’elle avait entendu « sur le poste » le conseiller fédéral (ministre) Pillet-Golaz dire, lors d’un banquet pantagruélique, que l’ouvrier peut dîner avec une tranche de pain et un cervelas (charcuterie infâme surnommée la raclure de plot). Il avait beaucoup fait, ce jour-là, pour assurer sa non-réélection à la législature suivante.

Je ne sais pas comment elle faisait, mais durant la guerre 36-45, elle savait ce que tout le monde voulait ignorer. Elle savait pour la déportation des juifs, elle savait qu’ils n’en reviendraient pas. Elle savait que les « erreurs » de bombardements alliés (sur la Suisse) étaient des mises en garde pour ne pas (trop) collaborer avec le Reich.

Elle a gardé très longtemps ce recul avec l’actualité et ses fils en ont hérité.

A la maison, on écoutait Sottens.  Sottens : Petit village vaudois sans histoire, hormis que c’est là que Radio-Lausanne avait établi son antenne et que les radios étaient alors identifiées par le nom de l’émetteur.

Donc sur Sottens, nous avions le droit d’écouter quelques émissions, malgré l’heure tardive (pour l’époque !). Parmi elles l’incontournable "Enigmes et aventures" le lundi soir avec le commissaire Gallois, le détective Durtal et son aide à tout faire, Picoche. Une sorte de Chauguise en trio, d’avant mio Cugino.
Un petit coup de nostalgie à partager ...

Alors que Radio-Paris en était encore à : « Bonsoir chers zôditeurs » avec la bouche en cul de poule pour le dire… Heu oui, ça, c’était après 45, parce que je vais vous parler de 1943 comme le début d’une radio différente : espiègle, râleuse, moqueuse, revendicatrice. Et dans ce temps-là sur Radio-Paris, c’était encore : Guten Abend liebe Hörer que la valletaille à Pétain ânonnait dans le poste. Donc en 1943 Radio-Lausanne ouvre son micro à l’humoriste et pamphlétaire Jack Rollan pour ses « Bonjour ». C’est lui qui dénoncera le coup du cervelas de Pillet-Golaz. Terreur des magouilleurs et des politocards véreux (pléonasme), il était bien souvent l’ultime recours des petites gens écrasés par des procédures malhonnêtes.

A l’époque des ballets roses en France, la Suisse avait aussi connu ce genre de divertissement pour grandes personnes. Comme il était convenu dans la presse d’en parler le moins possible, Jack Rollan ne manquait pas une occasion d’assurer le suivi de l’enquête. Les protagonistes de l’affaire avaient pu ainsi passer à côté d’une amnésie judiciaire… 

Comme on l’a vu avec Coluche et ses restos, il faut toujours des gugusses pour faire les travaux sérieux, c’est lui qui fonda la Chaîne-du-Bonheur en 1946 avec un autre animateur de la Radio. Le concept était nouveau,  les besoins étaient énormes. Durant des années, c’était une émission hebdomadaire d’appels de fonds, d’informations et de divertissements.  Les Téléthon, Sidaction et consort ont repris le système…(le compteur de pognon, les objectifs à heures fixes, les fiches de promesses lues à l’antenne, la surenchère des entreprises, tout était déjà inventé en 1946…) Actuellement, elle fonctionne sur des événements ciblés.  

Trublion de la morale, le parcours médiatique de Jack Rollan fut (forcément) chaotique. La radio veut le contrôler, il part et fonde son journal « le Bonjour de Jack Rollan » (bien sûr). Pour vous situer le journal, c’était un peu comme un Canard enchaîné qui se serait marié avec l’Os à moelle.

Les médias et lui, c’était je te haime. Je pars – reviens… mais oui - mais non… jamais pour toujours.

Touche-à-tout, il a eu un cirque, il a monté des spectacles seul ou avec toute une troupe. Il a eu aussi de nombreuses occasions de faire faillite  avec ses productions. Il collabora longtemps avec le quotidien genevois « la Suisse », jusqu’au jour où le Cardinal Daniélou eut la bonne idée de passer l’arme à gauche en escaladant le Mont de Vénus d’une prostipute…

Le papier (introuvable) était drôle, mais le red en chef l’avait trouvé raide d’ironiser sur l’ecclésiastique macchabée. Le billet fut censuré, Jack est parti.

Quelques liens en cascades


Cet homme, connu du monde entier de la Suisse romande est parti sur la pointe des pieds.

Il tire sa révérence un jour de mai 2007, après une ultime consigne à ses amis :
«Je ne veux ni église, ni cathédrale, ni télévision, presse ou radio; je veux le Léman et surtout pas de faux-culs, ni d'emmerdeurs. Alors ne parlez pas de ma mort avant l'adieu final.»

Dans sa vie, il a tout fait et fait de tout : photo, journalisme, musique, chanson, mise en scène, comédie musicale, conférences, tout jvoudis ! Finalement, j’aurais pu aussi le caser parmi mes poètes de légende…