Il est taquin.

Il s'approche, l'air de rien, dégagé, faisant sa sainte n'y touche...

Le soleil brille, le regard porte jusqu'au Luberon mais en un rien de temps la vapeur d'eau invisible dans l'air se condense, la lumière s'éteint et ce farceur fait retentir à notre oreille un gros coup de tonnerre.

Hou ! T'as eu peur, hein ?

Ben c'tte blague ? Je cours en soufflant comme un phoque jusqu'à la maison pour débrancher le forage, deux cartes électroniques à trois cent euros l'une ça suffat comme ci, et je tourne sur moi-même pour dépister un éventuel départ de feu.

Un éclair qui tombe sur la végétation complètement déshydratée de fin d'été, ya pas mieux, on touche au génie du barbecue, la colline s'embrase comme si on avait appuyé sur un bouton et c'est parti mon kiki. J'ai assisté deux fois au phénomène, un orage sec, c'est un pyromane à l'efficacité garantie, c'est un trucage dans "Les dix commandements", tu sais, quand Y. avec son carton en zig-zag recouvert de papier-chocolat il met le feu au buisson ardent ?

Bon, les deux fois, la pluie s'est mise doucement à tomber dix minutes plus tard et l'orage a éteint l'incendie qu'il avait allumé. Mais sans cette crise de remords in extrémis, zou maï c'était reparti pour le ballet rouge des pompiers et des canadairs.

Notre vie ne renouvellera-t-elle jamais son programme télé ?

Dans le feu récent, pas trop éloigné de chez nous, dont parle Bof, je n'y suis pour rien, l'orage non plus. C'est le fils du maire qui a craqué l'allumette, juste pour faire bisquer son père.

Oui mais un orage peut aussi amener l'eau espérée. Un éclair mieux positionné, plus finaud, a déchiré la poche d'eau céleste et les trombes s'écoulent. Ça ravine oui, mais ça mouille et c'est le principal.

Plus besoin d'arroser le potager.
Je vais pouvoir enfin déchaumer, rentrer de quelques centimètres dans ce sol dur comme de la pierre.
Les fruits d'automne vont finir de mûrir, les coings pouvoir se ramollir un peu, les olives se remplir les joues, les figues se gorger de jus, les grappes s'alourdir.

Et puis les sangliers cette nuit vont descendre de la colline. Ce sont bêtes d'habitudes. Leur première nuit d'après orage m'est réservée. Mes terres riches en matière organique abritent de gros vers de terre qui ont passé l'été enfouis à grande profondeur et qui remontent dès qu'ils sentent l'humide. C'est le dessert des suidés et la première pluie automnale leur est sacrée. Ils viennent fouir, fouiner, fouisser, s'en foutre jusque là, de la protéine tendre. Un ver, ça va, trois cent vers, quel bon jour les gars !

La pleine lune éclaire a giorno la campagne. Je me suis installé pénard sur l'Avto, face à un de leurs passages traditionnels. Ils arrivent en me faisant poireauter juste un peu, comme pour un rendez-vous amoureux. Il y a toute la smala, la femelle dominante, ses petits, là ils portent encore la livrée, ils sont curieux, ouverts, n'ont pas encore acquis la paranoïa de l'animal sauvage traqué. Les "accompagnants", oncles, tantes, cousins, tanguys, labourent tout ce qu'ils peuvent, reniflent, grognent sur une odeur peu ou trop connue. Les odeurs mécaniques du tracteur chaud camouflent la mienne, ils lui tournent autour, intéressés. C'est un spectacle intense, allez : j'allume les phares pour y voir mieux. Ça ne leur fait ni chaud ni froid, une partie engourdie de leur cerveau doit simplement leur souffler qu'il est un poil tôt pour le lever du soleil mais ils s'en branlent avec une branche, en fait.

Ils ont fini d'engloutir tout ce qui est comestible dans le coin. Ils s'éloignent tout en se grommelant leur contentement. Ils sortent d'une bonne douche sur ces poussières d'Eté collées de sueur et ces tonnes d'eau cadeau du ciel ont ramolli cette terre aride dure à leur groin.

Eux aussi adorent le premier orage.