Par quels chemins tordus en vient-on à l'écriture, quels soupirs silencieux sont déjà en germes dans les cris, quelle entité a décidé et dans quel recoin qu'il vous faudrait salir du papier pour ralentir un peu votre chute ?

Très tôt compagnon de moments d'évidence, les mots me semblèrent des portes incontournables à qui se sentait l'âme pirate, avide d'arracher charnières et secrets aux coffres à trésors sémantiques et curieuse de pierres brutes à retailler en bijoux. Mes yeux, habitués à glisser sur les ombres et les choses de peu, restaient agrippés à ces signes d'origine supra-naturelle. Leur diversité de forme, de taille, de couleur dénotait leur importance et leur complexité. Il y avait une volonté derrière ces bitognots abscons. On les avait déposés là pour combattre le hasard, pour lancer des messages, des ordres, de l'espoir. Ceux-là même qui prenaient de leur temps pour graver ces lettres minuscules sur leurs supports si minces et si fragiles sous mes doigts ne mesuraient sans doute pas assez leur importance incroyable que je ressentais parfaitement, moi, du haut de mes deux ans révolus.

Je n'eus dès lors de cesse de faire cracher à mes géniteurs l'intégrale de leurs connaissances au sujet de tous ces gribouillis trainant dans la corbeille du courrier, sur les tables de nuit, sur nos étagères soutenant des pavés poids-plume, mais aussi à l'extérieur du nid, dans l'immensité du monde, gravés sur les frontons des monuments, sur les panneaux indicateurs de routes, les placards publicitaires, les véhicules d'entreprises et les journaux pour enfants que très tôt je préférai aux friandises glucosées du vulgus. Vous connaissez des parents, vous en êtes peut-être vous mêmes, j'en suis un, imaginons-les sans peine se valoriser en répondant avec systématique à ma soif de culture littéraire. A cette allure, je n'eus pas besoin de l'école obligatoire pour acquérir mes fondamentaux. Cela tombait impec car mon pays était en guerre et il était très dangereux d'aller à l'école, cela impliquant de marcher devant des magasins susceptibles d'être plastiqués

Ma mère devenant ma maitresse, et mon père, ravi de me voir si passionné, nous apportant son concours, mon œdipe fut aisément résolu.

Ils me révélèrent les possibilités sans limites de l'Ecriture un soir de décembre. Il suffisait que j'écrive à un nommé "Père Noël" pour recevoir les objets de mes désirs les plus fous. Technique marketing très en avance pour son époque, prenant pour postulat de base une absence totale d'esprit critique chez le consommateur-cible, mais d'une efficacité redoutable. Je ne me souviens pas avoir mis autant de cœur dans une lettre depuis. Comme on m'avait parlé d'un "pays du Nord" comme habitat d'origine du mécène en question, je prévins tout risque d'erreur de traduction ou autre en doublant mon texte de dessins au réalisme suffisant. Je fis admirer mon œuvre à mes parents, nous la fîmes bruler dans la cheminée pour qu'elle "monte au ciel", ça puait le mythe païen récupéré par son cureton et je reçus effectivement en retour ma panoplie de cow-boy avé le colt et le lasso. Un vrai tour de prestidigitation qui eut une grosse influence sur mon destin.

Ainsi ces hiéroglyphes, même réduits en fumée, n'existant plus que dans ma mémoire, pouvaient s'incarner, participer à la réalisation de rêves, donner du bonheur. Un stylo entre les doigts, je tenais donc là la baguette magique au pouvoir absolu.