Tu sais, dans mon quartier, quand j’avais huit ou neuf ans, t’étais vachement peinard… Pas une tire, pas de biniou, pas de téloche, mais la rue et les copains, ça oui ! Les Mamans nous foutaient une paix royale, on jouait dehors toute la journée. Je ne sais pas pour vous, mais nous, on n’avait jamais entendu parler d’enlèvements à part le fils Lindbergh, mais bon, c’était chez les Ricains et c’était vachement loin l’Amérique, là où j’irai quand je serai grand.

J’étais pas bien épais, des cannes de flamant rose, même mes chaussettes tricotées main ne restaient pas en place, elles tirebouchonnaient vachement bien. Pas gros certes, mais pour les conneries je ne donnais pas ma part aux matous.

J’les aimais pas trop, les greffiers, surtout celui d’la mère Maheu, avec son œil chassieux et son poil rouquemoute : une teigne, c’t’endoffé, toujours à cracher quand j’passais, un coup d’saton il l’aurait pas volé, tiens !

Et puis y’avait not’pote Jacquot, le dernier d’une belle famille. Il avait un frelot, déjà grand, j’l’avais jamais vu aller au chagrin ! Alors, un jour, j’lui ai demandé pourquoi son frelot y grattait pas ?

- C’est passqu’il est malade !

- Ben il a quoi ?

- J’ai un peu honte de l’dire, qui m’a répondu, en r’nouchant ses galoches.

Moi j’me suis dit : ça y est, son frangin, il a une maladie honteuse ! J’en avais entendu jacter des maladies honteuses, mais à 8 ou 9 ans , tu vois pas bien c’que c’est. T’as beau être né à Pantruche et habiter des banlieues populaires, t’es pas plus malin qu’un autre…

Alors Jacquot il a laché l’morceau :

- Mon frangin, il a une cirrhose « sympathique » !

Moi j’trouvais ça rigolo, une cirrhose j’avais entendu parler : c’était en somme le disciple du vieux à Ti’Pote, qui en avait une de cirrhose, c’est dingue ce que ça fleurissait bien dans mon quartier, c’truc là ! Mais puisqu’elle était sympathique, celle du frangin à Jacquot, ça ne devait pas être si grave !

J’avais un oncle, il était louchébem’ à la Villette, les abattoirs (z’avez pas connu vous êtes trop petits), j’ lui avais demandé à Tonton :

- C’est quoi une cirrhose ?

- C’est quand l’ loific d’un mec y s’ratatine, biscotte il a trop lichtronné. Tu vois, môme, faut y’aller molo sur l’pif ! Et si tu tiens pas le treize degrés, tu restes au Guigoz !

Il expliquait bien mon Tonton, fallait avoir fait argot première langue pour le comprendre, mais il expliquait bien. D’ailleurs, tous les gus qui entravaient que dalle, il les appelait des « oies d’cour » et ça n’était pas un compliment. Il était gentil et souvent il ramenait de la barback comme il disait à sa frangine (ma mère), des fois des cervelles d’agneau ou des amourettes… Vous n’en trouverez plus, cherchez pas, depuis la vache frappadingue y’en a plus : c’était de la moelle épinière. De toutes façons, les mômes, corn flakes, coca cola et burger de mes deux, ils n’en voudraient pas !

On l’charriait un peu, le môme Jacquot, on lui disait que ça aurait dû être son frelot qui s’appelle Jacquot, biscotte en argot un « jacquot » c’est un litre de rouge. Tu sais, pas les boutanches de maintenant, on s’est fait entuber une fois de plus : t’as plus que 75 centilitres de bibine à lichtronner, alors qu’ avec un « jacquot » t’avais 1 litre certifié 5 étoiles sur la boutanche, consignée la boutanche en plus !

Et pis à force de le mettre en boîte, un jour, on l’a suivie, la boîte, jusqu’au cimetière de Drancy. C’est là que j’ai gambergé que son frangin à Jacquot, il avait dévissé à cause d’une cyrrhose hépatique.

Il avait un cousin Jacquot, il s’appelait Julot, oh la vache ! Qu’est-ce qu’il s’est fait charrier avec son blase ! C’était plus du tout à la mode un truc pareil, aujourd’hui c’est revenu, comme quoi ce Julot-là il était soit à la bourre, soit en avance… Mais pas dans l’bon créneau, c’est sûr !

En plus, il avait un œil qui cuisait l’poisson et l’autre qui surveillait l’ chat ! Il était plus vieux que nous et plus grand. Des fois, il venait nous chourrer nos billes, on la fermait biscotte il avoinait bien, ce con. J’ l’aimais pas biglousse, mais on l’appelait pas biglousse devant lui : courageux mais pas téméraires ! Y’en a qu’un qu’il a jamais emmerdé, c’est Ti’pote, parce que tout grand qu’il était, Ti’Pote, il lui aurait volé dans les plumes à ce con, hardi comme un chat maigre, Ti’Pote !

Plus tard, je le croisais des fois : en fait, il n’était pas grand, il s’était arrêté de pousser un peu trop tôt ! On se serrait la louche, c’est marrant d’avoir vécu notre enfance ensemble, ça nous avait rapprochés et les vieilles querelles devenaient des bons souvenirs.

Y’avait aussi Lulu, un bon pote, ce Lulu. Ils créchaient à six dans un deux pièces cuisine. Un grand frangin que mon frère dérouillait souvent, il pouvait pas l’encadrer suite à une histoire de boule de neige dans la tronche, de lait renversé (au moment des restrictions après la guerre), de lunettes fracassées. Tout ça avait valu une trempe à mon frangin, alors, depuis, dès que l’occase se présentait, le frangin il lui faisait une courette !

Donc Lulu par contre il était sympa, et puis un jour il nous annonce que sa mère, elle attendait encore un gnare ! Il avait treize ans environ, et nous kif-kif, putain ton vieux il a un lance-flammes mortel ! qu’on lui dit au Lulu…

Lui, un peu gêné, il nous répond qu’en fait chez les femmes arrivé à un certain âge, ça peut arriver comme ça ! Moi j’crois que sa mère avait dû expliquer à mots couverts qu’ils s’étaient fait baiser, ils se croyaient à l’abri biscotte la ménopause à Manman, et j’t’en fous y’avait encore un ovule bien vicelard planqué, comme qui dirait en embuscade, qui n’attendait que sa p’tite ration de têtards bien gesticulants !

Moi, j’en avais connu une à qui s’était arrivé comme ça, par l’opération du pigeon saint, mais c’était arrivé il y a deux mille ans ! Sa mère à Lulu, elle s’appelait pas Marie et son vieux c’était pas Joseph. Alors on lui a dit que son père avait dû avoir un retour de manivelle, et que sa mère elle avait pas le carburateur bouché. Y f’sait la gueule, Lulu, mais y’a des moments ou il faut esssspliquer sinon on crève idiot !

Il avait une frangine, Lulu : Marie. Jeune, elle était un peu comme moi : les muscles en long comme les araignées ! Mais quand ça a commencé à s’arrondir sous le pull et que la jupe, au lieu de tomber bien droit dans le prolongement du dos, a commencé à faire une jolie bosse, je l’ai regardée différemment ! Elle était devenue jolie, Marie. Tu peux me dire pourquoi on va toujours chercher bien loin ce qu’on a à notre porte ?

Nous sommes sortis une fois ou deux ensemble, je ne l’ai même pas embrassée, trop de souvenirs de gamins ensemble sans doute, on ne seraient pas pris au sérieux… C’est con !