C’était il y a peu… Cet homme avait été pêcheur.

Pêcheur, un vrai, un mec qui se lève au gré des marées, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente…

Pêcheur sur une mer pas facile, toujours froide toujours houleuse, avec des courants entre mer du Nord et Manche, du vent, toujours du vent, ce vent glacial que l’on nomme Noroît.

Il faut bien gagner sa croûte, alors tous les jours on désamarre les haussières, on quitte le quai, on emprunte le sas qui vous mettra à niveau avec l’avant-port, un petit bonjour à l’éclusier et on embarque, le patron pécheur et un matelot à bord, pas plus.

Ce sont des petits bateaux, pas des navires usines qui saccagent tout. Ces bateaux-là pratiquent une pêche respectueuse le long de la frange côtière, ramenant selon l’époque de l’année, harengs, coquilles Saint-Jacques, lottes, cabillauds ou tourteaux…

Aussitôt débarqué, le poisson est vendu par leurs épouses sur le quai ! Soles, carrelets, harengs frétillent encore ! D’autres s’en vont pour Rungis où ils seront dispatchés, et enfin quelques-uns alimentent les restaurants de la ville.

Entre les pêcheurs et leur bateau, c’est une histoire d’amour, je n’exagère pas. Quand ils passent plus de vingt ans sur un barlu, ils en connaissent les moindres recoins, ils se souviennent de toutes ses avaries. Ils connaissent ses faiblesses, ses points forts. Parfois ils l’ont poussé dans ses derniers retranchements afin d’affronter une tempête et rentrer sains et saufs au port.

Il faut sauver les hommes mais aussi le bateau, c’est leur vie, leur survie même, c’est le ch’tiot Pierre, la Maryse, l’Etoile du matin, la Fée des mers : tous ces jolis noms qu’ils donnent à leur bateau, le cajolant comme ils le feraient avec une jolie femme.

Et puis, un jour, c’est la catastrophe, pour une raison inconnue se déclare une voie d’eau !

Que s’est-il passé ? Le presse-étoupe de l’arbre d’étambeau qui a lâché ? A-t-on heurté quelque chose qui aurait occasionné une déchirure dans la coque ? On ne le saura jamais.

C’est le naufrage, on jette le « Bombard » à la mer, le patron pêcheur veille avant tout à sauver son matelot, c’est son devoir, il y parvient, le temps de déclencher la balise de détresse, les secours arrivent rapidement.

Les hommes sont saufs, c’est l’essentiel direz-vous ? Bien sûr, mais lorsque le père apprend que le bateau qu’il avait offert à son fils quand il a pris sa retraite est au fond… Il n’a pu retenir ses larmes !

J’ai vu pleurer un homme…

(Ch'tiots crobards Andiamo, photos itou )