Tout le monde l'appelle Chacha. Il déteste son vrai prénom, Alexandre, trop péteux plus haut que son cul, empereur de quoi, bon dieu, de mes fesses ? Alexandre le gland, oui... non, ce coup là, il est pas près de le pardonner à sa brave femme de mère. C'est vrai qu'on demande rarement au bébé de se choisir un prénom, c'est dégueulasse, ça le concerne au premier chef, non, on ne consulte jamais les principaux intéressés, non mais quel monde de merde ?

Alors, de temps en temps, il part en vadrouille, il se prépare à la fête, il s'immerge dans des festivals de théâtre de rue en électron libre, il débarque dans des teufs organisées sous les étoiles, il s'arrache surtout du carcan de notre monde doux aux dominants et dur aux différents, il désenfile sa camisole quotidienne pour se glisser avec bonheur dans sa plus jolie robe rouge, brosser longuement sa perruque blonde, se couvrir de décorations, se maquiller avec soin tout en fredonnant "Ce soir je serai la plus belle pour aller danser, hé hé hé ...".

Oui il est né garçon mais ce soir il est sapin de Noël, feu d'artifices, défilé de mode à lui tout seul, boule à facettes, palette de peintre impressionniste, vitrine de la place Vendôme... Oui, il fait un peu pute, il le reconnait, mais pas plus que la plupart des filles "de sortie", mêmes accessoires, nœuds, pompons, résilles, talons-stylos, châles, paillettes, chouchous-cerises, il faut savoir lancer des messages clairs si l'on veut pêcho dès le premier soir.

La nuit tombe, Charlotte est enfin elle-même, excitée comme une puce, le rouge aux joues et elle est fin chaude pour s'éclater à donf. Tout à l'heure, elle va rencontrer son prince charmant à l'arrière d'une camionnette, elle en est sûre, elle le sait, il aura les couilles comme des citrouilles et lui murmurera des mots bleus pastels. C'est son souhait le plus cher depuis toujours, les muscles lui font mal tellement ils sont tendus vers ce but, combien de fois a t-elle composé le numéro de sa marraine la fée, pour toujours et encore tomber sur la nana-robot d'un répondeur impersonnel ? Mais où sont les hommes qui préfèrent les hommes ? Ha bien sûr, à la capitale, il suffit de se baisser ramasser une pièce pour se faire tâter le paquet mais en province ? Si tu manques de discrétion, ou si tu fais courageusement ton "comment-goutte", les "braves gens", les "épiciers" ou les "croquants" fustigés par Brassens transformeront ta vie en un tel calvaire que l'évidente solution te semblera d'aller te pendre à la branche de l'un d'eux, au croisement des destins impitoyables.

Chacha est un poète maudit, Chacha est un architecte fou, Lewis Caroll aurait sans problème rajouté quelques pages à la gloire de Chacha, un rôle peaufiné pour lui dans "De l'autre côté du miroir", s'ils avaient été contemporains. Chacha est notre enfant "cadeau-bonux", surprise, non-programmé et je reconnais la patte évidente, lumineuse de ma nièce Delphine dans l'atterrissage de Chacha ici. Nos enfants bios n'auraient pas l'esprit aussi ouvert et respectueux sans Chacha et son décapsuleur à mentalités. Chacha a le vin tendre et sentimental, Chacha est compatissant aux animaux, Chacha est amoureux des poussins et des canetons, il est le joyeux chevalier de son château de sable éphémère , il se réfugie dans d'héroïques fantaisies, il rassure et calme son cœur au rythme de l'eau qui douche les dytiques, les libellules et les poissons rouges, il joue à Copain des bois avec ma fille, il installe des roues à aubes en bois de cagette sur les rigoles d'arrosage du potager...

Surtout il a pris en charge ce que nous ne savons pas faire : il trie, il range, il jette, il répare, il nettoie, il brûle.

Son rôle ici est on ne peut plus clair : il nous décore la vie. Encore merci d'être ce que tu es.