Avertissement:
Ne vas pas croire que je puisse être chauvin de quelque façon que ce soit. Le multiculturalisme développe un esprit critique plus ravageur, parce que mieux renseigné.
Je ne vais certainement pas te parler des tares des Suisses: leur égoïsme, leur esprit de clocher, leur peur de l'inconnu et de l'étranger, leur avarisme, leur jalousie parce que ce sont les valeurs humaines les mieux partagées dans le monde. Si tu veux savoir comment sont faits les Suisses, tu regardes ton voisin, tu lui enlèves son béret basque, son ticket de PMU, sa baguette de pain et tu as un Suisse, ou peu s'en faut. Ah si, une chose encore, à l'apéro, tu remplaces le Ricard par un ballon de blanc ou une chope de bière. Et il ne te dira pas "Mais que fait le gouvernement", parce qu'il sait qu'il ne décide de rien par lui-même.
Ce Sidi, je sens toujours une vague d'incompréhension réciproque lorsqu'on parle du droit des citoyens. Alors, depuis le temps qu'on me demande de le faire, je vais te dessiner une Démocratie à la suisse.


Première époque

Bon, là tu vas me faire ramer pour t’expliquer ça. T'imagines un peu le fossé que tu devras franchir pour te nettoyer la tête de tout le fatras d'idées à la con sur ce simple mot... Tu vas me pourrir la vie en gardant en mémoire les pratiques de la raie publique gaulliste.
Ce serait tellement plus simple si tu avais brusquement une crise d’amnésie avant d'aborder le sujet.
Démocratie est un mot à sens multiples qui est généralement défini dans un pays par la pratique des gouvernants qui sont censés être sensés, mais dont les propos n'ont souvent pas d'autre sens que le sens de ceux qui le paient, et ça n'a aucun sens commun (ni dessus, ni dessous (merci Monsieur Raymond)).

Alors, première étape : Démocratie n’est pas un gargarisme pour politocards, quoi que tu puisses en penser en écoutant leurs discours.
C’est bien intégré ?

Un peu d'histoire : je devrais commencer par la Grèce qui est, parait-il, la plus vieille démocratie du monde, mais ça reste à démontrer, car il n'est pas prouvé que les hommes du Neandertal étaient menés par un chef de meute ayant pris le pouvoir en tapant sur la tête des autres. Ils pouvaient tout aussi bien avoir choisi leur chef, le tirer au sort ou fonctionner de façon libertaire, sans chef... Donc, ne préjugeons de rien.
D'autre part, il parait qu'en Grèce, ce n’était pas le pied rapport aux métèques qui n’étaient pas concernés par le droit de vote et même que les femmes étaient aussi dans la catégorie métèques. Et puis la démocratie grecque a pris quantité de sales coups dans son histoire. Pour mémoire, les derniers en date sont :
- 1967 avec la dictature des colonels (tu ne peux pas faire confiance à des militaires, même s'ils ont deux étoiles au képi (que celui qui a dit "surtout" se dénonce...))
- Le coup d'état par les phynanciers et leurs trois larbins: le FMI, la banque européenne et le conseil de l'Europe.

Pour les femmes, il faudra en faire une abstraction si on veut parler de démocratie, parce que ça ne va pas remonter très loin si on prend ce paramètre en considération… Alors on fait comme si en considérant que l’homme est seul maître à bord après Dieu…. Et sa femme.
Pour les métèques, c'est pareil, sauf qu'à bord ou pas, il restent dans la constante de n'avoir pas droit au Chapitre...

La plus vieille démocratie ininterrompue date de sept siècles.
Son histoire commence dans des contrées inhospitalières des Alpes, au nord du massif du Gothard. Un truc du genre Monts des Carpates, mais en plus haut et sans Dracula.
Charlemagne bouffait les pissenlits par la racine depuis quatre siècles. Une grosse partie de l’Europe était sous la botte des Habsbourg, Présidents autoproclamés du Saint-empire-romain-germanique (déjà à l’époque le curé était mieux coté à l’argus que le péquenot moyen), lorsque trois croquants…. fiers montagnards décidèrent qu’ils en avaient marre de payer des impôts à un seigneur qui n’était même pas foutu de venir les voir et de taper le carton avec eux.
Donc nos trois gaillards, Arnold le mec pâle , Wa-te-faire-foutre et Werner Chauffard (historiquement connu - mais non recensés sur face de bouc - sous leurs pseudos: Arnold de Melchtal, Walter Fürst et Werner Stauffacher) décidèrent que trop c’est trop et que les baillis méritaient juste un pied au cul pour les téléporter sur Vienne. Cette Suisse primitive manquant singulièrement de banques pour être crédible, ils s'appelèrent donc les Waldstätten.


Ils décidèrent, ce 1er août 1291, que si un se trouve dans la merde, les autres viendraient à son secours.
Tu vas rire, mais ce traité d’assistance a eu plus de chance que le franco-polonais d’avant 36…

Par contre, Rodolphe de Habs’ a très mal supporté le serment qu'ils firent sur la prairie du Grütli, puisqu’il est mort peu après (mais rien ne prouve que ce soit un dégât collatéral).
Ils ont aussi décidé que y avait marre d’avoir des chefs et qu’ils n’allaient pas remplacer les baillis par des petits dictateurs locaux. Que d’or et d’argent (merci Béru) ils allaient demander leur avis aux cochons de payeurs… aux habitants concernés.
Donc voilà nos trois lascars embringués dans une rébellion « vite » mâtée par le clampin qui a remplacé Rodolphe. Heu oui, mâtée, c’est du moins ce qu’il espérait parce que la réalité est parfois rude à avaler, et pour ce qui est de vite, je te laisse juge…. Pour te donner une vague idée de la situation : tu imagines une rébellion dans la Principauté d’Andorre, et que voulant la mâter, la France se ramasse trois pliées de suite, réparties sur 97 ans.
C’est donc ce qu’ont vécu les Habsbourg avec Morgarten en 1315, Sempach en 1386 et Näfels en 1388. Après cette dernière bataille les Autrichiens jetèrent l’éponge avant d’admettre qu’il y a un accroc indélébile à leur territoire.

Dans la foulée de cette rébellion, nos trois gugusses ont aboli le servage, déclarant tous les hommes libres et égaux. Tu vois que tes révolutionnaires français n’ont rien inventé…
Première abolition de l’esclavage dans le monde : 1291.
Je me rappelle encore de la tête des gars au bistrot à Altorf quand les trois zigs leur ont dit qu'ils allaient sur le pré, là-bas, signer un pacte d'assistance mutuel...
Y avait, pour sûrs, les enthousiastes, mais aussi les pisse-froids qui renaudaient que ce sont des fous, des illuminés, des provocateurs, des suicidaires; et même, injure suprême, des utopistes qui allaient se casser la gueule vite fait...

Mais Guillaume Tell venait de le prouver, le fier paysan des Alpes, aux bras noueux et aux mollets hypertrophiés n'a pas peur d'un bailli, fut-il autrichien.



« Donner wetter * Ich werde ihm zeigen, wer ist Guillaume ** »
avait-il dit en réarmant son arbalète après avoir transpercé la pomme.

C'est ainsi que les Waldstätten ont donc décidé de renvoyer le bailli Hermann Gessler au château de Hofburg pour y faire les grands nettoyages avant l'arrivée de Sissy.

Mais que ce passait-il donc dans cet embryon de Suisse. Avec un grand nombre d’illettrés, tu n’as pas de bulletins de vote possibles, d’autant moins que Gutenberg va encore procrastiner 150 ans avant d’inventer l’imprimerie, ce faignant !
Donc le plus simple est de convoquer tout le monde sur la place du village pour une Landsgemeinde.

Comment ça marche ?

Comme ça :

Non, ce n'est pas la foire au bestiaux de Trifouilli les Ânes, pas plus qu'un concert live de Johnny. Tu viens d'assister à une réunion politique. Une sorte de Conseil des Ministres où le Président est remplacé par le peuple. Tu as tout le monde sur la place, avec, il y a peu encore, l’épée à la ceinture pour bien montrer qu'ils sont des hommes libres (oui, je sais, les femmes, c’est bien plus tard…) Les Conseillers d’État expliquent la chose à voter, ceux qui le veulent s’expriment, on remanie le texte si nécessaire et ceux qui sont pour lèvent la main droite. On compte les mains et le tour est joué. C’est le peuple qui a décidé. Les lobbyistes n’ayant pas le droit de porter l’épée, ils ne pouvaient pas entrer sur la place pour aller tenir la main des votants… Ils se sont bien rattrapés depuis avec les dépités…
Ça marchait bien parce que les cantons étaient peu peuplés (cette coutume est encore utilisée à Glaris et Appenzell Rhodes-intérieures).
C’est de cette organisation qu’est née l’idée de la démocratie directe***.
Mais comme je vais aborder un concept totalement abstrait pour un Français pure souche, je te laisse le temps de la réflexion pour ingurgiter ce qui précède…

Blutch


* traduction littérale : temps de tonnerre
** je vais lui montrer qui c'est Raoul
*** Un indice: ça ressemble à une démocratie participative, mais pas pour de rire.