Avant propos par Andiamo :

Ou l'art de recycler un commentaire en billet jouissif... (Tonton Dan avait posté ce commentaire, je le publie, ce sera un chouette billet) !


- J’ai bien fait le tour de la question. Je l’ai examinée sous toutes les coutures.

Dans le petit commissariat de quartier, tous les inspecteurs étaient là et entouraient le commissaire en retenant leur souffle.

- Je ne sais pas qui l’a posée sur le tapis, mais ce qui est certain, c’est que plusieurs réponses sont possibles, parmi lesquelles l’une d’entre elles me paraît être la bonne.

- Si je procède par élimination, ajouta-t-il, après un temps de réflexion.

Le pouvoir de déduction du commissaire était reconnu de tous, et il ne faisait plus de doute que cette énigme qui les avait tenus en échec depuis des mois, allait enfin être résolue.

- Vous avez trouvé Madame Jeanine Romanet à coté du cadavre, les mains pleines de sang, un rictus énigmatique au coin des lèvres, commença-t-il, et vous en avez déduit qu'elle était l'auteure du crime.

- Ben ouais, dit Robert pour réaffirmer cette évidence.

- Elle a juste dit "J'aime le passé simple", poursuivit le commissaire sans faire cas de cette approbation. Vous avez tous entendu ? "J'aime le passé simple".

- Oui, oui, répondit l’inspecteur Marfau, avec la mine tragique d'un personnage d'Edgar Poe, elle a dit "J'aime le passé simple". On a tous entendu. "J'aime le passé simple", mais vous savez, commissaire, elle n'était pas dans son état normal. Elle était sous le choc.

Comme sourd à toute objection, le commissaire ajouta : Elle n'a pas dit "J'aime le futur" ou "J'aime l'imparfait". Ah, si elle avait dit "J'aime l'imparfait", elle aurait signé son crime, mais elle a dit "J'aime le passé simple"

- Oui, oui, elle a dit "J'aime le passé simple", répondit encore l’inspecteur sur un ton légèrement agacé. Où voulez-vous en venir, commissaire ?

- Au fait que vous pouvez supprimer immédiatement Madame Jeanine Romanet de la liste de vos suspects. Madame Jeanine Romanet est innocente.

Cette affirmation, et Dieu sait que le commissaire n’affirmait jamais à la légère, fit l’effet d’une bombe dans le petit commissariat. Madame Jeanine Romanet, innocente ? C'était une plaisanterie. Les mains pleines de sang, le coffre-fort ouvert, le rictus, c'était pas les conjugaisons qui allaient y changer quelque chose.

- Mais commissaire, osa le petit Robert, c'est ennuyeux, elle est seule sur notre liste de suspects.

- Je me fous de votre liste, hurla le commissaire, en tapant violemment des deux poings sur son bureau.

Au bout d’un moment la poussière se redéposa, le plâtre cessa de tomber du plafond et il poursuivit en détachant chaque mot : Pourquoi voudriez-vous qu'une personne qui aime le passé simple pourrisse le reste de son existence en volant et assassinant un écrivain médiocre et sans le sou ?

Cela n'a aucun sens. Non, Madame Jeanine Romanet est une personne intègre et rigoureuse, dont même les textes tapés à la machine doivent être justifiés.

L'inspecteur Marfau se demandait où voulait en venir le boss et regardait sa montre avec impatience. Le commissaire avait tout à fait le droit d’agiter tous les poings qu’il désirait agiter, mais pour quelqu'un qui n'avait pas l’habitude de dire des bêtises, il fallait reconnaître que pour un débutant, il se débrouillait rudement bien.

On plaça Madame Jeanine Romanet en détention provisoire.

Peu de jours après, on enferma le commissaire dans un établissement spécialisé pour personnes surmenées. Il n’était plus que l’ombre de lui-même.

L'enquête révéla que la victime était son propre assassin. En proie à une violente crise d'angoisse devant la page blanche – le mobile – elle se suicida avec un stylo à pompe – l'arme – On retrouva son téléphone - le mobile - où il exposait en pleurant les raisons de son geste - larmes -. Son tricot de corps lui donnait des démangeaisons. Aussi, avait-il décidé d'en finir avec la vie. C'était un mensonge, évidemment. Il ne pouvait avouer son manque d'inspiration.

Madame Jeanine Romanet put reprendre sans délai ses exercices d'écriture dans lesquels régnait en maître le passé simple.

A l'heure où ces lignes sont écrites, le commissaire est toujours sous tranquillisants. Toutes les imbécillités qu’il aurait dû sortir petit à petit au cours de sa carrière avaient certainement été comprimées trop longtemps et jaillissaient brusquement.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms ou des événements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.