Déjeuner avec une amie. Son bureau m'envoie un mail de confirmation : date, heure, lieu du rendez-vous. Fabuleuse organisation ! Le jour dit, j'attends au resto, patiente vingt minutes, puis lui envoie un SMS.

Son téléphone est sur messagerie. Une demi-heure plus tard, texto navré : « Je suis atterrée, je t'ai complètement zappée, mon smartphone ne m'a pas envoyé le rappel de RV et je suis à l'autre bout de Paris !»

Finalement, les trous de mémoire dont se plaignent tant de gens en redoutant la maladie d'Alzheimer viennent peut-être seulement de cette habitude de confier leur agenda à des machines, en oubliant d'exercer leur propre mémoire, qui mollit faute de servir. Comme les muscles...

Arrêt dans une supérette à la recherche d'un en-cas rapide. J'opte pour le plus basique, a priori sans surprise : « mini-sandwich jambon/emmental pour enfant ». Je m'attends à y découvrir malgré tout de l'amidon, des exhausteurs de goût, du sucre inutile, quelques E... quelque chose, mais suis tout de même restée rêveuse devant l'avertissement : « Peut contenir des traces de poisson, crustacés, céleri et sésame. Ils les préparent sur des couvercles de poubelle, les sandwiches ?

File d'attente au cinéma. Devant moi, un homme donne à une amie des nouvelles de ses enfants : « Mon fils aîné est designer, le second graphiste et le dernier fait des études de photographie ». L'amie révèle que sa fille est elle-même infographiste et son fils apprenti-comédien. Allons-nous vers un monde exclusivement artistique et culturel ? Joli rêve- make art, not war- qui se heurtera au mur du réel s'il n'y a plus d'ouvriers pour fabriquer les ordinateurs, appareils photos ou pigments pour la peinture nécessaires aux artistes, ni de médecins pour soigner leur dépression existentielle, ou de paysans pour leur permettre de se remonter le moral devant une bonne bouffe arrosée de bon vin, vu que ces choses là ne poussent pas spontanément.

Guichet de banque : « Je viens chercher mon chéquier, j'ai reçu un mail disant qu'il est à l'agence. » La préposée scrute son écran : « Ah non, il n'est pas arrivé » -Pourriez-vous regarder tout de même ? - Ben non, puisqu'il n'est pas arrivé... -Ben si, puisque on m'a annoncé sa mise à disposition. » De mauvaise grâce, elle ouvre un tiroir, et y trouve le chéquier. La confiance aveugle dans l'informatique « plus fiable que l'esprit des hommes » a eu des conséquences autrement plus graves dans les années 1990, provoquant trois crashs aériens... là où l'avionneur promettait facilité et fiabilité.

Une Fbookeuse, comblée sur sa page de « like », «t'es sublime », « je t'M », « Superbe ! » « bisous ma chérie » et autres louanges dithyrambiques, et qui distribue elle-même des mots doux en pagaille, se demande dans la vraie vie si ses a-mis/mants/moureux l'aiment vraiment tant ils lui accordent peu de tendresse. J'ai alors pensé à cette jolie phrase du dessinateur Gébé : « Les femmes débordent de tendresse, alors les hommes oublient souvent de leur en donner. Penserais-tu à donner à boire à une source ? » et je me suis demandé si FB, en débordant de superlatifs positifs et « likeux » ne crée pas l'illusion d'un monde aimant, qui débouche au réel sur de vraies solitudes...

(Ch'tiot crobard Andiamo)