Un jour, j’ai croisé une espèce de philosophe qui m’a raconté une belle histoire sur l’amour. Je l’ai écouté sans piper mot, j’ai bien retenu ce qu’il disait et au moment de le remercier, je me suis aperçu que, dans la pénombre, je parlais à mon miroir…

Mais non, je n’étais pas bourré !

C’est juste pour dire que ce n’est pas le genre de truc que j’écris tous les jours et que je n’avais probablement pas trouvé d’ignominie à pourfendre ce jour-là.

C'est surtout que j’avais eu avec une amie une longue discussion sur la jalousie et que j’ai voulu structurer ce que je lui avais dit. Pour ça, il fallait que je me raconte dans l'ordre et avec méthode (restez couché Monsieur Descartes) l'essentiel de nos cogitations. Et puis, c'est bien de parler à son miroir. Primo il ne conteste rien, secundo, il ne t'interrompt jamais et tertio, on se sent moins seul.

Dialogue du Sage et du Fou

Le Fou - Maître, maître, je suis amoureux ! J’aime une femme qui est belle, intelligente, instruite. Je sais déjà qu’elle sait bien cuisiner et si elle fait aussi bien l’amour, je serai un homme comblé. Je veux marier cette femme….

le Sage - Mon ami, pourquoi me dis-tu maître ? Je n’ai de leçons à donner à personne et si parfois je semble donner des conseils, c’est que je me les dis à voix haute pour être sûr que je me comprenne. Tu me dis aimer une femme, je te sens enthousiaste, exubérant, mais je ne vois point d’amour dans ton propos. Tu fais un inventaire de ce qu’elle peut te donner : Sa beauté, son intelligence, son instruction qui te permettront de briller en société. Sa connaissance de la cuisine qui flattera ton palais et tu espères chez-elle un don inné pour les plaisirs sexuels. Je ne vois là que l’envie de posséder cette femme. Or posséder n’est pas aimer. Méfie-toi mon Ami, car les deux sens de ce verbe sont toujours indissociables lorsqu’on parle de relations humaines :

Etre possédé c’est appartenir à… Etre possédé c’est aussi être berné !

Tu dis vouloir la marier, mais ça ne fait pas sens. Tu peux dire : je veux aller à Berlin parce que tu peux le faire seul, mais comment se marier tout seul…. Tout au plus pourrais-tu dire que tu veux la demander en mariage.

A aucun moment tu n’as parlé de ce que tu offres. Que sais-tu de ce qu’elle attend ? Qu’elle te soit parue aimable n’est peut-être que le résultat de son éducation, pas de ce qu’elle voudrait et je ne t’ai point entendu discourir sur ses désirs.

Le Fou - Mais Maître, comment dois-je vous appeler, vous êtes le Sage et je suis le Fou, il est normal que j’apprenne de vous tout ce que j’ignore encore…

Le Sage - Mon ami, le Sage est un fou qui a trouvé plus fou que lui et qui puise dans sa folie des leçons de sagesse. Je ne sais pas où se trouvent des choses aussi précieuses que l’Amour ou la Vérité. Je sais juste qu’elle ne sont pas là où je les ai cherchées. Si tu le ressens ainsi, appelle-moi ton ami.

Le Fou - Mon ami, c’est me faire honneur, mais soit. Mon ami donc, j’aime cette femme, lorsque je ne suis pas avec elle, je suis inquiet, je crains qu’elle se détourne de moi, j’ai peur qu’elle prenne plaisir à vivre si je ne suis pas là. J’ai peur de la perdre, qu’elle se laisse séduire par un autre homme. C’est bien une preuve de mon amour !

Le Sage - Non mon ami, tout ceci n’est qu’un désir de possession et de contrôle de cette femme. Si tant est qu’elle t’ait promis quoi que ce soit, en manquant pareillement de confiance, tu la blesses, tu la dévalorises et tu la fais souffrir. Est-ce de l’amour ? Si elle ne t’a rien promis, c’est pire encore… L’amour n’a pas d’esprit de possession. Il offre, sans conditions en espérant la réciprocité. Peut-être aurais-je préféré entendre : Lorsqu’elle est loin de moi, je suis en manque d’elle. Mais j’entends que tu ne veux pas qu’elle puisse avoir du plaisir à vivre hors de ton contrôle. Ce n’est que de la jalousie.

Le Fou - Oui, je suis jaloux, c’est bien une preuve de plus…. Votre œil sombre me dit que non, mais pourquoi ?

Le Sage - La jalousie est une preuve de défiance envers l’autre. C’est le croire capable des pires trahisons. Est-ce une preuve d’amour ?

La jalousie est une prison, mais c’est une prison particulière.

Le jaloux est le geôlier qui enferme l’être prétendument aimé dans un faisceau de suspicions et d’interdits toujours plus restrictifs et plus solide que des barreaux d’acier car il est nourri par la loyauté et la culpabilité de la victime. Mais le geôlier lui-même entre dans une cage tissée par sa propre jalousie. Il fini par en souffrir autant. Au fil du temps, les deux cages de cette prison particulière s’éloignent l’une de l’autre. Lorsque l’un des deux peut s’échapper de sa cage, c’est toujours le jaloux qui reste enfermé parce que c’est lui qui a forgé ses propres barreaux par ses ressentiments. Le prisonnier se libère en cessant de se sentir coupable de la souffrance du geôlier. Il n’alimente plus la vigueur des barreaux de sa cage qui fondent comme neige au soleil. Peut-être aussi finira-t-il par trouver une personne plus méritante pour l’épanouissement de sa loyauté.

Le Fou - Mais alors, ce creux dans le ventre, ce vide dans la tête, c’est quoi ?

Le Sage - Je te l’ai dit mon ami, lorsque l’être aimé n’est pas là, il est normal de ressentir un manque, de sentir ce creux, ce vide. Mais l’autre n’en est pas responsable. Que son absence soit liée à son travail ou ses plaisirs n’y change rien. Je te sais fervent de plusieurs sports, y renoncerais-tu si ces sports ne l’intéressent pas ? Que pourrait-elle penser si tu ne le fais pas ? Serait-elle en droit de douter de toi ? Pourrais-tu imaginer être heureux du plaisir qu’elle a pris en sortant un soir avec ses copines, comme elle serait heureuse de te savoir satisfait si ton équipe a gagné son match ? Ce que dans un couple on appelle l’amour est trop souvent une vaste escroquerie, parce que dans tous ces interdits et ces obligations, je ne vois qu’inventaire et comptabilité.

Le Fou - Mais c’est pourtant simple j’aime cette femme, je la désire, c’est de l’amour.

Le Sage - Non mon ami, tu m’as expliqué que tu aimes des qualités de cette femme. L’entier de sa personnalité est plus complexe tout de même. Une femme aussi pense, rêve, désire, aime. Elle a des idéaux et elle aussi se projette dans l’avenir. Quelles concordances avec tes rêves, tes désirs, tes projets ? Dans quelle mesure vas-tu respecter les siens ? Tu me dis la désirer (parlons pas de « faire l’amour », ce mot est déjà suffisamment sujet à quiproquos sans y rajouter un mélange de sueurs.). Le désir donc n’est pas une preuve d’amour non plus, on est toujours dans une problématique de possession.

Le Fou - Mais alors c’est quoi l’amour ?

Le Sage - De quel amour parles-tu mon ami ? La langue française, pourtant si riche, ne sait pas faire la différence entre un amour dénué d’intérêt sexuel et un amour incluant le désir sexuel. Alors il a été affublé de toute sorte de qualificatifs : l’amour filial, parental, fraternel, comme si aimer ses parents, ses enfants ou ses frères et sœurs ne relevait pas du même sentiment. Qu’en est-il alors des oncles, tantes, cousins, etc.

C’est encore plus compliqué dans les relations avec cette famille choisie que représentent les amis. Impossible de dire je t’aime sans y rajouter un superlatif censé amoindrir le sentiment. Aimer est, je crois le seul verbe qui est dévalorisé ainsi. « Je t’aime énormément » est moins fort que le simple « je t’aime »…. Qu’un homme dise je t’aime à une amie est choquant, sauf s’il rajoute beaucoup (ou tout autre qualificatif). Pourtant cet homme peut aimer cette femme de la même manière et pour les mêmes raisons que sa propre sœur…. Sans plus de désirs sexuels qu’avec elle. Pour cet amour-là, qui est pourtant semblable à l’amour fraternel, la langue française a inventé un autre mot : l’amitié. Mais dans l'acception populaire de ce mot, il est de moindre valeur que l'amour. Et ne parlons pas du galvaudage de ce mot à travers les réseaux sociaux. Ami, amitié n'y exprime plus rien.

Il n’y a que dans le cadre du couple que l’amour diffère puisque c’est en principe le seul où se mêle le désir sexuel, et pourtant le français ne lui donne pas un autre nom comme le font certaines langues….

Il y a probablement des barrières religieuses derrière cette interdiction morale de parler d’amour hors du cadre familial. Ca fait un peu «Travail Famille Patrie » et Religion devrait-on rajouter.

Le Fou - Peut-on alors parler de passion amoureuse ?

Le Sage - Non. C’est encore une escroquerie morale. La passion vient de la racine pâtir. La passion est donc une souffrance. Ce qui est bien illustrée avec la Passion du Christ. Cette passion-là ne représente pas sa marotte de faire des miracles ou des discours un peu obscurs avec ses paraboles. Il s’agit bien de l’ensemble du cérémonial de sa mise à mort. C’est donc assez incongru de parler de passion amoureuse (idem pour celle des trains électriques), sauf si on veut faire de la relation de couple une situation douloureuse…. Je lui préfère nettement le terme de ferveur. On pourrait donc en effet parler de ferveur amoureuse pour cet amour si différent de tous les autres, car empreint de désir charnel. Ainsi, ce sentiment amoureux qui porte deux êtres l’un vers l’autre devient une chose joyeuse, gaie, épanouissante.

Le Fou - Mon ami, vous m’expliquez que je me trompe en parlant d’amour, vous me dites pourquoi je suis dans l’erreur, mais l’amour existe, vous en parlez longuement sans l’expliquer : C’est quoi l’amour ? Comment sait-on que l’on aime vraiment ?

Le Sage - Je t’ai dit que ce qui fait que deux êtres ont une relation de couple n’est pas forcément de l’amour. Mais je ne te dis pas qu’il ne peut pas y avoir d’amour dans un couple.

Le Fou - Mais mon Ami, je ne comprends plus. Y a-t-il ou non de l’amour dans un couple ?

Le Sage - Parfois oui, parfois non. Ce n’est pas toujours l’amour qui forme le couple. Le désir de l'autre peut y suffire largement. Ce désir induit par une nécessité animale de se reproduire. On est là dans une simple affaire de chimie corporelle provoquant ce désir. Lorsque en plus le couple partage un amour, il entre alors dans une autre dimension... C'est cet amour-là qui devrait être nommé autrement. A défaut de mieux, je le vois comme une ferveur amoureuse.

Le Fou - Mais encore… ?

Le Sage - Tu me disais tout à l’heure que tu désirais une femme avec beaucoup de passion. Je t’ai expliqué que ton sentiment pour elle n’est pas de l’amour mais du désir. Elle peut s’accommoder de ça et que vous formiez un couple. L’amour n’en serait pas présent pour autant.

Le Fou - Je reviens à ma question, c’est quoi l’amour?

Le Sage - Cherche, car tu ne le comprendras vraiment que si tu le trouves par toi-même. Une piste tout de même : Tu aimes toutes les personnes que tu aimes avec le même sentiment. Dans la ferveur amoureuse, il y a juste un petit plus que dans les autres cas. Ce petit plus qui fait que parfois ce que l’on nomme l’amitié se mute en ferveur amoureuse par la fantaisie de quelques phéromones….

Le Fou - Je crois que j’ai compris, l’Amour, c’est…..

Le Sage - Chut….. !