Ils sont entrés, se sont assis bruyamment et ont hurlé qu’on leur serve à boire.

Ils étaient bien une trentaine à avoir laissé leurs machines encore fumantes devant le petit café, des engins d’apocalypse, décorés sur le thème des pires monstres des mythologies les plus dévoyées.

Le chef de la bande était matelassé de cuir et criblé d’une clouterie rutilante agrémentée d’une impressionnante collection de pin’s publicitaires.

Il retira son casque intégral recouvert d’autocollants et le tendit à l’obséquieux crapaud eczémateux dont il était flanqué.

Sa crête de huron rouge et verte, libérée d’un long voyage, se redressa en frissonnant, et les multiples anneaux qui ornaient le pourtour de son oreille gauche cliquetèrent lugubrement.

Devant l’immobilisme de la serveuse pétrifiée de terreur, le monstre se leva et la fixa de son unique œil vivant au fond duquel brillait l’éclat fiévreux d’une haine définitive vouée à l’humanité toute entière.

Le reste de la bande retenait son souffle. L’air poussiéreux, aux relents de transpirations et d’hydrocarbures, était palpable.

Il se pencha lentement au dessus de la table sur laquelle était alignée une collection de bols blancs à l’usage incertain et articula en détachant chaque syllabe : « Et que ça sau-teu, ou je te sau-teu ».

Ce mot d’esprit provoqua un éclat de rire collectif et un réflexe de survie de la soubrette qui saisit le premier bol à sa portée et le remplit de bière pression.

A cet instant précis, traversant le rideau de perles qui servait de séparation entre le bar-tabac et l’épicerie-journaux-souvenirs-postes et dépôts divers contiguë, une éléphantesque patronne à la poitrine fellinienne et au regard chalumeau surgit avec des propos peu amènes pour cette bande de voyous, les abreuvant d’insultes et de moqueries sur leurs accoutrements ridicules, leur faiblesse d’esprit et leur virilité défaillante.

….

Le prince du macadam blêmit. Son œil de verre roula dans son orbite cependant que l’autre se fendillait de veinules rougeâtres. De toute évidence, les deux hémisphères de son maigre cerveau se livraient un combat sans merci dont l’issue dévastatrice ne faisait aucun doute.

Il était sur le point d’exploser lorsque P’tit Pierre, au bord de l’apoplexie, entra en hurlant qu’on leur volait leurs bécanes.

La horde s’évanouit en moins de dix secondes pour se lancer dans une course poursuite jusqu’à l’autre bout du monde.

Le nuage de poussière mit beaucoup plus de temps à disparaître.