De bar en bar, de grandes avenues en ruelles sordides, je crois bien que j’avais frotté ce soir-là plus de zinc qu’un curé peut en bénir !

Deux ou trois échassières, qui en cuissardes, qui en escarpins, bas résilles et jupe au ras du trésor, attendaient le micheton. Elle est entrée, fraîche, souriante, incongrue dans ce décor poisseux.

- Un mêlé-cass' a-t-elle commandé au loufiat mal rasé, la clope « Boyard papier maïs » faisant corps avec ses babines violacées. Rien qu’à son air abruti, j’ai tout de suite compris que la petite venait de lui parler en Inuit !

- C’est de l’eau-de-vie avec du cassis, plus d’eau-de-vie que de cassis, servi dans un verre à Martini. Tu mets des glaçons au moment de la préparation, mais tu ne les laisses pas dans le verre… Verstehen ?.

Une boisson d’une autre époque dis-je à la femme en me tournant vers elle, tout en lui décrochant mon sourire à 4,95, celui qui faisait chanstiquer les rombières, quand je n’avais pas dépassé la date de consommation.

Une boisson d’homme aurait dit Audiard, poursuivit la belle rousse, car elle était aussi rousse qu’un tas d’rouille, au moins ça changeait des filasses rencontrées, celles qui pensaient qu’un coup de blond allait leur retirer une dizaine de berges, et la loi de la pesanteur hein ? Elles en faisaient quoi ?

On a parlé de tout, de rien, de « Trou du cul premier » qui venait d’être élu président, de ce quartier des halles qu’elle n’avait pas connu "avant", les petits troquets dans lesquels on servait le Muscadet quasiment à la pression ! La gratinée des petits matins, au milieu de la faune des louchébèms, grandes blouses autrefois blanches, tachées de résiné. Seules les prostiputes, étaient encore présentes, moins nombreuses toutefois.

Je m’appelle Adeline, Adeline Ferrero, et vous ?

- Mario Rodatti.



- Vous êtes Rital itou ?

- Si peu, ça remonte à mes grands-parents, je ne parle pas une broque de la langue de Dante, ou alors deux mots quand je suis bourré, trois sous la torture. Ma réflexion l’a fait sourire, un si joli sourire. Mais vous, Ferrero, vous êtes apparentée au chocolatier ?

- Oui c’est vrai, nous sommes cousins germains !

Elle a siroté son mêlé-cass', moi j’ai terminé mon Bourbon, nous nous sommes regardés… On s’arrache ?

Elle a acquiescé, on boit un verre chez moi m’a-t-elle demandé ?

- Excellente idée, mais je ne suis pas en état de conduire.



- Ma voiture est là, d'un geste gracieux elle a désigné une Giuletta sprint de 1959, une pièce rare !

- Moteur 1300 cc, arbres à cames en tête, freins ventilés, une merveille pour son époque !

- Ah mais, voilà un connaisseur, et j’apprécie vivement.

Je suis monté, elle a embrayé sans sauvagerie, il faut ménager la vieille Dame a-t-elle murmuré à voix basse, et surtout ne pas la vexer ! Elle habitait rue de la Pompe, décidément cette gonzesse avait plus d’un talent…

Un chouette appartement au deuxième étage, ascenseur "à l’ancienne", avec porte en fer forgé, pas très sécurisant, mais un charme fou.



Elle m’a installé dans un superbe canapé second empire, en compagnie d’un Armagnac hors d’âge. Un peu plus tard elle est apparue, seulement vêtue d’un déshabillé transparent, elle s’est plantée devant moi, a lentement fait glisser le voile…

Aux endroits sensibles de son corps magnifique, elle avait disposé des touches de Nutella, une nuit gourmande m’attendait.