Paulo

Drame ordinaire en un acte

On s’est retrouvés tous les quatre au Bar du Pont. Paulo chougnait comme un gosse, on n’a pas tout de suite pigé ce qu’il barguignait à travers ses larmes. Au fond du rade, ça sentait la merguez et le café bouillu, des bidules louches à l’odeur pas nette pendaient au-dessus du comptoir, on aurait dit des cadavres de merlan.

Le patron, une espèce de gras du bide au marcel douteux, puant des pieds et de la gueule, éructait à la bière en fourrant sa grosse pogne dans un froc tout aussi crados, chaque fois qu’il avait besoin du tire-bouchon. On l’appelait le vice-amiral, rapport à ce qu’il avait fait ses armes à Toulon, dans la Navale. Paulo venait de se faire plaquer par sa poupée russe, une matriochka aux joues rouges et aux yeux de lin qu’il avait dégotée dans le port en train de racoler le micheton pour une bouchée de pain. Paulo jérémiait. On l’entendait bieurler jusqu’à la capitainerie.

Je vous en ficherais, moi… On les sort du bobinard, on leur donne du respectable, on en fait des "madames" et puis voilà. Elles mettent les bouts avec un freluquet gominé, costard trois-pièces, grosse bagnole, qui leur fait renifler ses talbins. Rien qu’des vénales, j’vous dis ! Saloooope !

Fallait pas se leurrer, son histoire sentait un peu le chrysanthème, et beaucoup la vinasse, rapport aux litrons qu’il venait de s’enfiler derrière les amygdales. Y’ a pas, il avait l’ivresse séculière et le chagrin vengeur. Nous ses poteaux, on devait surtout le consoler et l’empêcher de faire une connerie. Dans cet état, le Paulo était capable de foutre la môme à la baille après l’avoir énucléée à la cuillère à glace ou au vide-pomme.

 •.¸¸.•*`*•.¸¸☆