Dans un billet récent, je vous indiquais que, lors de mes pérégrinations estivales et provinciales, j'avais pu me livrer à d'intéressantes observations ethnologiques. Je vais ici vous faire part d'une partie de celles-ci, concernant les coutumes alimentaires aveyronnaises.

Je me focaliserai plus spécifiquement sur deux des bases du bien manger en Aveyron : les tripous et les échaudés. Oui, je sais : rien que les noms, ça fait peur, mais attendez donc la suite, vous n'en avez pas fini de vos émotions.


Les tripous

Le plat aveyronnais par excellence, casse-croûte du matin des peuplades indigènes, mais également plat de résistance à midi, petite collation l'après-midi, plat de résistance le soir. Bref, près de 80% des apports nutritifs chez l'Aveyronnais moyen.

Les tripous sont essentiellement constitués de panse de veau garnie de fraises coupées et assaisonnées. Je vous devine faisant la moue devant votre écran. Attendez, il faut que je vous précise : les fraises ne sont pas les fruits rouges auxquels vous pensez, il s'agit de fraises de veau, c'est-à-dire la membrane qui enveloppe les intestins de l'animal. Voilà, cette fois, vous pouvez vraiment faire la moue à bon escient.

Le tout fait ensuite l'objet d'une préparation chimique assez lourde et complexe (les usines de tripous sont classées Seveso II) qui lui confère une jolie teinte verdâtre relativement originale.

Quand on vous sert une bonne assiette de tripous, prenez votre temps, essayez de vous imprégner du moindre détail, profitez de cette expérience unique (unique, car il fort probable qu'on ne vous y reprendra plus). Admirez le remarquable camaïeu de verts. Respirez à pleins poumons le subtil fumet (qui donne à penser que les bouts d'intestin ne font l'objet d'aucun nettoyage entre l'abattage du veau et l'arrivée dans l'assiette). Testez du bout de votre fourchette la résistance surprenante de la texture spongiforme. Hmmmm, vous voilà prêts pour le suicide la première bouchée.

En aucune façon il ne faut raconter la fin d'un film. Aussi ne vous dévoilerai-je pas l'extraordinaire palette d'émotions qui se bousculent au portillon dès la mise en bouche du premier morceau, je préfère vous laisser découvrir cela par vous-même.

Tout au plus vous ferai-je part d'une ultime observation que j'ai pu faire : une ingurgitation et une régurgitation ne modifient en rien ni la couleur, ni l'odeur des tripous. Je suppose qu'il en est de même pour le goût, mais là, je n'ai pas eu la force de tester.


Les échaudés

Après les tripous, une petite gâterie : les échaudés, qui sont des petits gâteaux dont la recette, très ancienne, remonte au Moyen-Âge, ce qui ne nous rajeunit pas.

Les échaudés sont constitués d'une pâte parfumée à l'anis, mise en forme de triangle, pochée à l'eau bouillante puis cuite à four très chaud. A l'arrivée, un petit gâteau d'aspect fort sympathique et appétissant qui, après le traumatisme des tripous, vous réconcilie quelque peu avec les moeurs culinaires aveyronnaises.

Passons à la dégustation. Fermez les yeux pour mieux savourer. Plongez la main dans le paquet d'échaudés. Portez-en un à la bouche et croquez. Heu... là, vous ouvrez les yeux et vous ressortez de la bouche le caillou que vous avez dû prendre par mégarde. Mais non, ça a bien la forme d'un échaudé, la couleur d'un échaudé, ça doit donc être un échaudé. Bigre, plutôt coriaces, les gâteaux !

Essayez de nouveau en tâchant de trouver l'effet de levier maximal dans votre mâchoire. Gnnnnnnn.... non, ça résiste. Essayez alors de casser l'échaudé en dehors de votre bouche, cognez-le contre un mur, essayez de le couper avec une paire de ciseaux, avec un couteau, avec le hachoir à viande. Rien. Nada. Peut-être un grand coup de marteau ? Après avoir constaté que la table sur laquelle reposait l'échaudé est moins résistante aux coups de marteau que l'échaudé lui-même, lancez-vous dans des expériences de physique : essayez de ramollir l'échaudé dans de l'eau. Au bout d'une heure, vous constaterez à votre grand désespoir que le coefficient d'absorption de l'échaudé est très proche de zéro.

Vous sentant habité par une rage décuplée, revenez à la première méthode : mettez l'échaudé en bouche et mordez, mordez, mordez, MORDEZ !

CRAAA-AAAC !!!

Enfin ! Dans une nuée de débris divers giclant tout alentours, l'échaudé vient de céder sous vos dents. Soupir de soulagement. Vous regardez alors le bout d'échaudé qu'il vous reste entre vos doigts. L'échaudé est intact.

Et là, vous comprenez votre erreur : ce que vous avez pris pour la rupture de l'échaudé n'était en fait que l'explosion d'une dizaine de vos dents et d'une partie de votre mâchoire.

Les historiens attestent de l'existence de l'échaudé depuis l'an 1200 environ. Ce qu'ils ne précisent pas, c'est que ce sont les mêmes échaudés qui sont en circulation depuis lors : personne n'a jamais réussi à en manger un seul.


Conclusion

Messieurs et Mesdames qui cherchez à faire un régime, une destination de rêve : l'Aveyron. Une semaine là-bas à manger tripes et boyaux (et à vomir tripes et boyaux) et à sucer des cailloux, c'est dix kilos de moins assurés. Attention toutefois : l'abus d'Aveyron peut être dangereux pour la santé.