Je pense être tombé dans la M.H.U.B. en cours moyen 1ère année. Comment, vous ne connaissez pas la M.H.U.B. La Marmite Hugolienne Universelle Bouillonnante ? Pffff... Enfin, vous aurez appris quelque chose aujourd'hui, c'est déjà ça ?

Je revois ces poèmes éparpillés un peu au hasard dans notre livre de "Lectures", au milieu de dictées potentielles, extraites de romans de Grands Auteurs. La censure régnait. Ça sentait la purge à pleins naseaux, le texte tailladé, réécrit par de hauts fonctionnaires certains d'être les caryatides nationales de la morale, protecteurs des jeunes oreilles et des jeunes yeux innocents.

Ô, que je hais ces versions raccourcies, guillotinées, expurgées, intelligibilisées à la mesure des cerveaux enfantins réputés perméables et dénués d'esprit critique ! Que je hais le Reader Digest, ces petites saynètes sorties de leur contexte, et le mépris sous-jacent pour l'auteur libre et sa pensée fine, riche, complexe, que l'on retrouve déchiquetée et amoindrie. Aïe, lire des textes de la bibliothèque verte et se retrouver ensuite confronté à la flamboyance géniale des versions intégrales ? J'ai eu ce choc avec l'Île mystérieuse, de Verne, Le comte de Monte-Cristo, de Dumas et Les Misérables, de Hugo. Ça secoue.

Même les poèmes. Evidemment, ils ne les réécrivaient pas, ces résidus de l'Ecole Normale en auraient été incapables, mais ils passaient à la trappe des strophes entières.

Mon livre de "Lectures", je le lisais en entier dans le mois qui suivait la rentrée, en commençant par les poésies. Et là, y avait pas photo : c'était le Grand Victor le meilleur. Hin hin, les autres, les Verhaeren, les Ronsard, les Delafontaine, on voyait bien qu'ils s'essoufflaient derrière la comète, en ramant avec leurs petits bras, les lourdauds... Cette année, on avait eu droit à Océano Nox . La claque ! À l'époque, on apprenait par cœur, avec le cœur, et c'était facile car c'était beau. Ça avait traversé les siècles, ce n'était pas des vers à la mapipoune tonton larimette, imposés par la copine du ministre...

"Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli."

"Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur!"

"O flots! Que vous savez de lugubres histoires!
Flots profonds redoutés des mères à genoux!
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!"

Chapeau. Et tout ça en signant des autographes génétiques aux bonnes. Avoir un enfant du Grand Homme ? Ça devait se bousculer au portillon... Ha, vous appelez ça un portillon, vous ?

Pour les cadeaux d'anniversaire, de Noël, ce n'était pas compliqué de me faire plaisir : un livre, et j'étais le plus joyeux des bambins. Mon frère aîné m'offrit un jour "La Légende des Siècles", une belle édition sur papier bible avec des encres du maîtres. Waw ! Je continuai à explorer le Grand Œuvre et Notre Dame de Paris eut une influence énorme sur moi. Esmeralda, qui d'ailleurs aurait préféré s'appeler Goton et s'appelait en réalité Agnès, n'est pas trop maligne : elle est émue par l'apparence avantageuse du beau Phœbus qui est l'archétype du gros con. Mais elle est charismatique et permet à Hugo de faire une analyse fascinante des motivations des hommes qui gravitent autour de sa beauté fatale.

Quasimodo est le pur de la bande. Son Amour pour Esmeralda le transcende et le transforme en héros généreux. Il en oublie ses intérêts, son obéissance à son maître, il est l'Amour absolu et quand sa bohémienne finit torturée, pendue par la faute de Frollo, il tue celui-ci, qu'il vénérait pourtant. Quasimodo, c'est la locomotive de l'Amour, rien ne l'arrête, ni sa laideur, ni le fait qu'elle en soit dégoûtée, ni aucune contingence, ni la Mort. Il retrouvera le corps de sa dulcinée dans les caves de Montfaucon, l'enlacera et se laissera dépérir ainsi...

Claude Frollo est le méchant. Son Amour, peut-être encore plus passionné que celui de Quasimodo, est égoïste. Pour lui, l'affaire est claire : si il n'arrive pas à la sauter, personne d'autre ne l'aura. Et comme la petite sait ce qu'elle veut (son beau Phœbus), c'est ce qui se passe. Le prêtre poignarde Phœbus juste avant que Phœbus ne fasse revenir Esmeralda à la casserole avec un peu de beurre (ne vous inquiétez pas : Phœbus n'en meurt pas, se mariera avec une autre conne et aura beaucoup d'enfants. Cet Hugo, quand même, quel conteur !) et puis il dénonce la sorcière à l'Inquisition. Tout du putain de moine, quoi. Bon, Quasimodo le jette du haut des tours de Notre Dame. Ça c'est fait. Il ne l'emportera pas en Enfer. Guerre à son âme.

Il y a aussi Pierre Gringoire. Comme Quasimodo, dont Esmeralda a eu pitié en lui donnant à boire sur le pilori, elle sauve Gringoire de la mort en acceptant de se marier avec lui selon la Loi de la Cour des Miracles. Mariage blanc, bien entendu. Elle fait ça car elle est bonne fille et qu'elle a bon cœur. Gringoire ne cracherait pas sur une petite concrétisation vite fait sur le coin de la paillasse, mais l'altruisme d'Esmeralda ne va pas jusque là, elle a des idées précises sur le mari idéal : un homme a le casque en tête, l'épée au poing et des éperons d'or aux talons ! (je vous l'ai dit, elle est gentille mais un peu concon). Gringoire aussi. Tout poète, tragédien, intellectuel qu'il est, c'est un homme-enfant épris de gloire, qui livrera sa fausse femme à Frollo, sans rien comprendre à la situation...

Et puis il y a un autre personnage féminin dans le livre, omniprésent, c'est Notre Dame de Paris elle-même, masse imposante et impressionnante autour de qui tout tourne. Elle donne asile, elle recueille, mais elle abrite aussi des donneurs de question pas vraiment tendres. Les siècles passent et elle contemple toutes les turpitudes et les atrocités commises dans la capitale, avec son sourire contraint de mater dolorosa pas vraiment concernée.

Victor Hugo est un créateur de mythes éternels, à l'instar d'Homère ou de Shakespeare, alors évidemment, il est repris, pillé et quelquefois réduit en charpie, massacré. Il n'aurait pas fallu que je croise un américain à la sortie du "Bossu de Notre Dame", le dessin animé de Walt Disney S.A., le célèbre gang de cambrioleurs. Hugo même pas cité au générique, Phœbus le flic priapique et ripoux, qui devient le héros, et le curé qui se transforme en juge pour ne pas choquer les puissants lobbies religieux américains !!! Ha les fuckings salauds !

Quasimodo del Paris, de Patrick Timsit, tout dérisionneux qu'il était, respectait à la perfection la thématique hugolienne.

Et la comédie musicale, mon dieu, je ne l'ai pas vue, mais la chanson Belle me parait cadrer assez bien les personnages. Et si vous trouvez que je suis trop gentil, vous pouvez aller savourer une satire ici