J'étais dans une de ces périodes sympathiques de mon existence où, mon compte en banque présentant des formes avenantes, les joues remplies et le sourire repu, je n'éprouvais pas la nécessité de descendre à la mine gagner de quoi saupoudrer de parmesan mes spaghettis.

Ma lucidité n'ayant pas encore atteint le niveau élevé de compétence où elle s'ébroue depuis, gaiement, entre sagesse et modestie, je pris la saugrenue décision de travailler sur mes tendances artistes. Je sais, je sais, j'étais jeune, c'est la seule excuse qui me vient à l'esprit pour expliquer un tel manque d'auto-clairvoyance.

Mais ne riez pas tout votre saoul, réservez-en un peu pour la suite, le meilleur est à venir. Je feuilletai donc les pages jaunes de l'annuaire et finis par trouver une adresse semblant correspondre à ce que je cherchais. Je suis malheureux comme les pierres d'avoir perdu ma carte de membre et d'avoir la mémoire qui perd ses planches, car l'intitulé de cet attrape-gogo était un nom ridiculement ronflant qui aurait dû éveiller ma méfiance, mais je me répète : "Ah, si jeunesse savait...". Un nom du genre "institut des hautes études artistiques" ou "académie supérieure des arts plastiques" ou "œuvre didactique au service de l'art" ou bien "cercle des artistes en devenir", enfin un truc qui m'aurait fait fuir si j'avais été en possession de la plus petite parcelle de sens critique. Seule avait dû m'hypnotiser la longue liste des techniques dont il était soi disant possible d'apprendre la maîtrise.

Je me présentai donc. Ah tiens : anecdote qui me revient ! Devant le "temple de l'Art", une sirène de police se met à hululer très fort, tout contre moi. Je vois un type sortir à toute berzingue du Bar du coin et se précipiter vers moi, l'air ravi comme tout. J'entends les mots "alarme" "dernier cri" et je comprends enfin que je m'étais négligemment appuyé sur sa voiture. C'étaient les premières alarmes, je ne savais même pas que ça existait et je constate que le mec ne m'en veut pas du tout : ça lui a permis de faire son show devant tous ses potes du Bar et je lui apporte la preuve que son système est réglé fin-fin-fin. Je décline son offre de l'accompagner boire un coup.

La secrétaire me jette un regard suspicieux. Suis-je envoyé par un ancien élève, comment ai-je connu leur existence ? Ah oui, l'annuaire, c'est vrai : nous sommes dans l'annuaire... Cela ne paraît pas lui présenter de garanties bien sécurisantes, mais enfin, le refus de vente est un délit et comme je paye un trimestre d'avance, bast, elle passera sur l'absence de recommandation.

J'ai choisi d'attaquer par la poterie et dès le lundi suivant, je me retrouve dans un atelier tristounet où l'on m'explique les règles locales. En fait, je n'ai payé que le droit de mettre les pieds dans cette prestigieuse maison séculaire qui a vu passer tant de génies. Le prix de cet honneur si convoité a été calculé au plus juste. Tout le reste est payant : la terre utilisée, l'utilisation du four... Je me suis amusé pendant quelques semaines, mais mes pétrissages n'étant pas folichons, je n'ai pas eu à emporter mon boulot, donc rien eu à raquer. Le prof était jamais là, mais par voie de conséquence m'a laissé tranquille, ce qui d'une manière générale me convient au plus haut point.

J'ai commencé à piger l'esprit de la boutique en écoutant minauder les deux minettes qui "s'exprimaient" à mes côtés. Enguenillées de haute couture, ces écervelées au vocabulaire approximatif s'étaient sans doute faites éjecter du cursus normal et attendaient là, échouées sur une voie, de garage certes, mais noble et valorisante, que leurs parents leur élisent un prince charmant de haut-vol, haut fonctionnaire ou capitaine d'industrie.

C'est là que les connaissances artistiques qu'elles étaient en train d'acquérir s'avéreraient utiles pour superviser la décoration du home de leurs grands hommes. Mais il faudra également qu'elles leur donnent des héritiers.

Putain, j'étais tombé dans un nid de bourges ! Le quartier aurait dû me mettre la puce à l'oreille : l'école était à deux pas du Parc Bordelais !! Mais qu'est-ce que je foutais dans cette galère ? Et j'avais payé d'avance ! Le directeur de cette mascarade superficielle était un lécheur de cul de la plus belle eau. Jamais vu un gonze qui donnait l'impression d'aimer ce goût à ce point là. Il salivait, il en redemandait, du jus de fesses de ses clients-vaches-à-lait ! Il ne me restait plus qu'à prendre mon mal en patience : je m'inscrivis un peu à toutes les matières, à part la peinture. La règle était stricte, avant de touiller le pot, il fallait passer par la case "Dessin".

Qu'à cela ne tienne, j'avais réussi à me décrisper et à prendre ça comme une expérience rigolote. Je me mis à dessiner, mais dans le but de faire une sérigraphie. La sérigraphie, c'est gai, c'est pas cher et ça permet de tirer des affiches assez chiadées dans un fond de grange. En cas de conflit je trouvais que ça le faisait, pour faire chier les cons ou les envahisseurs. Un simple cadre de bois, une toile à maille fine agrafée sur les bords, de la gomme arabique pour boucher les trous là où on ne veut pas que la peinture traverse... Hop, on verse la peinture dedans, on glisse une feuille dessous, un coup de raclette, on récupère la feuille imprimée, on la met à sécher et on continue avec d'autres.

Et on peut pourrir une ville avec des slogans comme :

inactifs aujourd'hui
radioactifs demain

que m'avait repris la Fédération Anarchiste en 77 à Malville.

Bon, là, Avenue d'Eysines, j'avais fait soft. J'ai repris un des mythes qui me parlent, tels l'île, l'arche... Tant-Bourrin, lui, il idolâtre des personnages, Don Quichotte, Cyrano de Bergerac, Oui-Oui... mais il écrit bien quand même, le sujet n'est pas là, j'ai fait une embardée dans la phrase mais je me suis repris à la sortie de la locution adverbiale. Oui, j'ai donc choisi d'illustrer ce verset aussi biblique que sémantico-alcoolique, et néanmoins beau :

L'arche avait pour voilure une vigne

En voici le crayonné, sur calque :