Il était une fois, il y a fort longtemps, dans une contrée fort lointaine, une jeune Princesse, belle comme le jour, que son père avait fait enfermer au sommet d’une tour lugubre.

La chose avait fini par se savoir dans le pays et même dans les régions alentours, tant et si bien que nombreux étaient les chevaliers qui, armés de leur épée, s’en venaient fièrement, rêvant de délivrer enfin la belle damoiselle.

Hélas, l’accès à la tour lugubre était farouchement gardé par un immense et féroce dragon. Les valeureux chevaliers, malgré leur courage et leur vaillance au combat, ne pouvaient rien contre les flammes de l’Enfer crachées par le monstre et mourraient, les uns après les autres, calcinés, dans d’atroces souffrances.

Et ainsi, la jeune Princesse restait prisonnière au sommet de sa tour et soupirait de chagrin, désespérant d’être un jour libérée de sa geôle.

Mais, par une belle matinée, arriva dans le pays le plus beau jeune homme que l’on n’eut jamais vu à mil lieues à la ronde. Chevauchant son destrier blanc, une flamme inextinguible brûlait dans son regard.

Cette flamme était assurément celle de l’amour : on lui avait conté que la Princesse était encor plus belle que tout ce que l’on pouvait imaginer, que son père cruel la gardait prisonnière pour préserver sa vertu et que tout les gens alentours béniraient le jour où un preux chevalier saurait lui rendre la liberté et réjouir son cœur.

C’est pourquoi le jeune chevalier avançait son hésiter sur le chemin tortueux qui menait à la tour lugubre, sûr de la force de son bras et de son amour.

Toutefois, à l’orée de la forêt, il aperçut sur la ligne de crête l’immense bâtisse noirâtre et, surtout, le monstrueux dragon qui rôdait dans ses parages.

Le jeune chevalier réfléchit alors. On lui avait narré dans le détail la fin tragique de centaines de jeunes chevaliers, tout aussi forts et fougueux que lui, qui avaient cru pouvoir aller trancher la tête du dragon avant que celui-ci ne les fasse rôtir dans une gerbe de flammes.

Il essaya d’évaluer, à distance, la taille du dragon, puis la compara à celle, minuscule en comparaison, de son épée. Il se frotta pensivement le menton avant de décider de faire demi-tour et de retourner au premier village.

Les manants du coin, le voyant ainsi revenir, sourirent en douce. Tiens ? Un lâche ! se dirent-ils. Et les quolibets de fuser bientôt. Mais le jeune chevalier n’en avait cure. Il se livra à de bien curieux achats chez les boutiquiers du bourg, avant de reprendre le chemin tortueux qui menait vers la tour lugubre.

Arrivé à l’orée de la forêt, il continua, sans hésiter cette fois, à avancer vers l’immense bâtisse noirâtre qui se découpait sur la ligne de crête, tirant, par une corde accrochée à son destrier blanc, une carcasse de bœuf entier.

Arrivé à proximité de la tour, quand il vit que le dragon l’avait aperçu et se dirigeait vers lui, il trancha la corde et s’enfuit au galop.

Comme il l’avait prévu, le dragon s’arrêta près de la carcasse de bœuf, la huma, puis la dévora goulûment d’un coup de dent.

Il y eut alors une immense lueur dans un bruit de tonnerre : la tête du dragon n’était plus qu’une boule de feu hurlante.

Quelques secondes plus tard, le corps du dragon, ou tout du moins ce qu’il en restait de carbonisé, gisait sur le sol.

Le jeune chevalier sourit radieusement : son piège avait fonctionné ! Une bonbonne de butane camouflée dans une carcasse de bœuf avait eu raison du monstre, bien plus sûrement que ne l’eût fait son épée !

La voie était désormais libre. Il se précipita vers la tour, le cœur battant, monta les escaliers jusqu’au dernier étage et entra dans la pièce où l’attendait sa promise.

Celle-ci, alertée par l’explosion, avait vu de loin le jeune chevalier approcher de la tour et attendait son sauveur, le cœur tout aussi battant.

Quand ils se virent, ce fut comme un ravissement : ils étaient l’un et l’autre encor plus beaux que tout ce que l’un et l’autre avaient pu imaginer.

Ils s’aimèrent tout aussitôt de l’amour le plus pur et le plus puissant du monde.

Et ils vécurent heureux et n’eurent jamais d’enfants.



Enfin, pour être plus précis, ils vécurent heureux quelques heures, le temps d’une folle nuit d’amour.

Et s’ils n’eurent jamais d’enfants, c’est parce que l’on retrouva le corps sans vie du jeune chevalier le lendemain, au pied de la tour lugubre. Le corps sans vie du jeune chevalier, défenestré après avoir été sauvagement lardé dans son sommeil de centaines de coups de couteaux à la poitrine et au visage par la belle Princesse.

Car, voyez-vous, contrairement à ce que prétendaient les gens alentours, le père de la Princesse ne la maintenait pas prisonnière pour garder sa vertu.

Non, il l’avait fait enfermer simplement parce que c’était une psychopathe au dernier degré, totalement irrécupérable.

Comme quoi, il ne faut pas toujours prêter foi aux ragots et il est préférable d'enquêter un minimum avant de se mêler des oignons des autres.


Sur ce, il est l'heure de faire dodo. Bonne nuit, les enfants !