Je le savais, que je n'aurais pas dû aller à Amsterdam avec une nana qui ne sait pas monter en vélo.

Le loueur se mit à blêmir en assistant à la démonstration par Margotte de ses compétences en la matière. On sentait le gars soigneux craignant pour son matériel, dans l'angoisse qui transpirait de sa voix quand il aboya en anglais quelque chose que je traduisis à la louche par : "Je crois que ça ne va pas être possible..."

Je reconnais humblement que mon célèbre calme olympien fut pris en défaut lui aussi ce jour là. Je poussai également ma goualante rageuse :

- "Bordel, tu l'as fait exprès, j'en suis sûr : tu as refusé de t'entraîner tranquillement chez nous avec le vélo de Zoé sous de fallacieux prétextes, tu avais décidé dès le début que tu ne ferais pas de vélo !!"

- "Mais prends-en un, toi, moi j'irai à pieds, on se donne rendez-vous quelque part..."

- "Il n'en est pas question ! On est à Amsterdam, et à Amsterdam, on fait du vélo. Ensemble !"

Le loueur me regardait, l'œil sombre. De un : nous étions au pays de la discrimination positive envers le sexe faible et autres visiblement minorisés et mon ton manquait de correction politique. Et de deux : il devait se dire "Mais en insistant comme ça, il va finir par me la faire changer d'avis, ce danger ambulant sur deux-roues. Je prévois pour les heures à venir de la roue vrillée en pagaille, du pédalier faussé et du cadre dessoudé. Mon corps-au-pied sensible me ment rarement."

Le sourire revint sur son visage quand il vit Margotte s'accrocher mordicus à son refus de poser ses fesses sur un biclou instable. Je pris celui qu'il me proposa et sortis. La place de la Bourse, grand espace plat et vide à cette heure trop matinale pour l'amstellodamois fripon (nous étions en limite du quartier rouge), se trouvait juste devant le magasin.

- Bon maintenant, tu vas arrêter d'être négative. Tu as de l'espace, personne pour t'emmerder (à part moi), tu vas t'entraîner pendant 1/4 d'heure avec mon vélo, et puis après, tu t'en loues un et on fait ce qu'on avait prévu de faire. Tu as le vélo simple que tu voulais, sans vitesses, sans freins au guidon, ya pas un câble qui traîne, on peut difficilement faire plus basique. Allez ouste !

Margotte se lance, fait 3 mètres, stoppe, redémarre, fait un cercle à peine ovalisé...

- "Tu vois que tu y arrives."

- "Oui mais non, je ne peux tourner que sur la droite..."

- "Arrête de dire des conneries, tu me feras plaisir. Fais des huit, maintenant, et puis après, entraine-toi à passer dans des endroits plus étroits, car leurs pistes cyclables, elles sont pas trop larges. Oui, là, entre le banc et l'arbre. Et puis fais des cercles de plus en plus petits, à faible vitesse, tu ne crains rien, tu peux mettre pied à terre quand tu veux..."

Cette petite révision des notions de base effectuée, elle retourna louer son vélo chez le mec qui en menait toujours aussi peu large, son espoir de revoir son engin en bon état suite à son passage par les douces mains de Margotte étant assez proche de zéro.

- Allez hop, en route, et n'oublie pas que le vélo est roi ici, et qu'il a toujours priorité !

Bon, ce fut dur, très dur, il a fallu que je m'arrête souvent pour l'attendre, j'ai même eu le temps de me faire de petites siestes. Mais enfin on a fait un grand tour dans les îles, dans le Vodelpark, et puis 2 grands marchés de plein air dont les locaux se régalent, et puis le soir, quand on a ramené les bécanes, le loueur a eu l'élégance de ne pas vérifier à la loupe l'état du souffre-douleur-à-roues de Margotte.

Ces Néerlandais sont adorables.

Et de retour en Provence, Margotte m'a demandé de réviser son vélo.

Le début d'une grande aventure sportive et amoureuse ??