J'ai 8 ans, je vis dans un pays qui n'était pas le mien il y a encore 2 ans, j'ai les oreilles dépliées comme des paraboles, je suis curieux jusqu'à l'avidité mais mon monde se résume à ma petite école à classe unique et à la ferme de mes parents, perdue au milieu des grands bois périgourdins.

Le soir je rentre à bicyclette du village distant de 6 kilomètres. Je n'ai pas de devoirs à faire. Il y a un seul maître, donc nous travaillons seuls pendant qu'il enseigne aux autres niveaux. Je ne sais pas comment fait la jeune génération actuelle, mais nous, nous avions un trou au fond des oreilles et les mots du maître se déversaient par là directement dans nos cerveaux.

Rentré à la maison, je crapahute, je me bricole des trucs, n'importe quoi m'est jouet, je me raconte des histoires, je parle tout seul. Je lis. Beaucoup. Nous n'avons pas la télé mais une grosse radio PO GO FM OC trône dans un coin, assez souvent allumée. À cette époque, le présentateur annonce le nom du chanteur et même souvent l'auteur des paroles et de la musique. On a droit à une bonne part de sketches aussi. Il y a des feuilletons, et puis du théâtre, dans l'après-midi.

Et puis en début de soirée, à 18 h 45, à l'heure où selon les saisons je regagne mes pénates, mais l'important n'est pas là puisqu'en été j'abandonne tout, rien ne peut m'empêcher de rentrer écouter ce truc extraordinaire, ce feuilleton atypique qui ne ressemble à aucun autre : "Bons baisers de partout".

Le titre, déjà ? Ouvert, chaleureux, non-restrictif, et bien sûr sans aucun rapport avec le contenu car je viens de mettre un pied, non, une oreille chez les loufoques et chez le plus doux-dingue d'entre eux : Pierre Dac.

Ma mère me voit rentrer en courant dans la cuisine à l'heure dite. Son petit sourire est un peu d'ironie à me voir si mordu mais aussi de plaisir attendu car Dac l'enthousiasme également. Quand les allusions dépassent ma petite culture, elle est là pour m'expliquer les jeux de mots. Car il faut savoir qu'il existe un film nommé "Zorba le grec" pour apprécier le nom du méchant espion "Zorbec le gras", dont Roger Carel faisait la voix. Leroidec, le représentant en enclumes, c'est bon, je comprends tout seul. Fermtag aussi. Giorgio Loffismodi aussi, on a un disque d'Aznavour à la maison, avec "La mamma" dedans. Et est-il besoin d'une grande analyse sémantique pour se laisser gagner par le comique de sonorités quand intervient la "Comtesse Wanda Vodkamilkévitch veuve du général comte Alexis Vodkamilkévitch, née Catherine Legrumeau"?

Nicolas Leroidec, alias SGDG 06 1/2, puis alias inter 18 29 (la fréquence de France Inter sur les grandes ondes), joué par Paul Préboist est un magnifique anti-espion, hilarant dans son contre-emploi. Impossible de prévoir à l'avance ce qui va lui arriver, c'est du grand n'importe quoi. Pour se débarrasser de poursuivants, il jette par la fenêtre de sa voiture une boite de lacets car c'est bien connu, "les lacets sont dangereux dans les routes de montagne" !

L'opération "Tupeutla", ce sont les gesticulations de la France pour garder en sa possession l'irremplaçable invention du Professeur Slalom Jérémie Ménerlache, j'ai nommé le Biglotron , qui n'est en fait qu'un schmilblick à bidule. Oui oui, C'est Pierre Dac qui a inventé le Schmilblick aussi, bande d'incultes, ce n'est ni Guy Lux, ni Coluche !

En tout cas, ça marque à vie, ce genre d'expérience auditive. Que peut-on prendre au sérieux ensuite ? La politique ? Ben non, on s'est inscrit d'office au Parti d'en rire qui tient toujours ses promesses puisqu'il ne nous en fait aucune. Les disputes ? Au sujet de qui de quoi ? Il suffit de se remémorer sa Tyrolienne haîîîîîneuse pour en saisir toute l'inanité.

Je me suis fait traiter de vieux tromblon par Mademoiselle Dusk récemment, en citant mon Maître "63" (elle a disparu, quelqu'un a des nouvelles ?) mais il me semble qu'il y a de l'éternité, de l'intemporalité chez Dac. Quand on pense qu'il est né en 1893 et qu'il a été poilu de la grande guerre ? Quelle jeunesse !

Pour notre mariage, nous avons eu droit à son célèbre discours passe partout valable pour toutes les circonstances, bien pratique, ceci dit. Faut dire que mon cousin Jean-Baptiste Plait était de son vivant le meilleur interprète de Dac (et d'Alphonse Allais aussi, soyons honnêtes).

Je n'en sors pas.

Allez, une dernière de ses "petites annonces", pour la route :

Monsieur à qui on ne la fait pas cherche dame à qui on ne l'a pas fait