Avertissement : j'ai scribouillé cette histoire il y a une quinzaine de jours, je ne savais évidemment pas ce qui allait se passer aux îles Samoa. Prémonition ?


Daniel se réveille, il a nettement entendu le ressac. Elle est déjà là, songea-t-il en s’extirpant de son lit, le dos trempé de sueur.

Dans le noir, il se dirige vers la fenêtre. Elle est grande ouverte, seuls les volets sont rabattus afin d’éviter la lumière des quelques réverbères. Il écarte les légers vantaux fait de plastique.

Tout est calme, il a rêvé… Encore une fois, songe-t-il, ça n’est pas pour tout de suite, pas encore, mais cela viendra. De cela, il est sûr, toutes les simulations qu’il a effectuées corroborent ce qu’il pensait depuis longtemps : la mer gonfle, s’enfle, la calotte glacière de l’Arctique a complètement disparue, les glaciers de l’Antarctique ont déjà fondus de plus de la moitié !


- Salaud ! T’as envoyé ton onde calorifique, on avait dit qu’on s’en servirait pas !

- Fallait pas me flanquer un tsunami sur B 413 !


Il fait encore très chaud malgré l’heure avancée de la nuit, vingt-sept degrés au bas mot. En cette saison - nous sommes en hiver - et puis ici, à 48° 51’ 44’’ NORD - 2° 21’ 3’’ EST, il devrait faire froid.

Daniel se souvient des hivers d’autrefois, cet autrefois pas si lointain - il n’a que trente-cinq ans. La neige tombait en cette saison. Avec ses parents, Christian son père et Michèle sa mère, ils partaient skier dans les Alpes, aux sept Laux dans le massif de Belledonne.

Quelques années avaient suffi pour tout détériorer, et cela de façon exponentielle. Daniel est sceptique, les rejets ne sont pas la cause essentielle de l’accroissement aussi rapide de la température, toutes les simulations qu’il a faites en arrivent à la même conclusion : il y a autre chose… Autre chose, mais quoi ?


- Te plains pas, j’aurais pu faire chuter S 012 sur ta T 856 pourrie !

- Tu peux pas… Tu peux pas, t’es pas équipée du ralentisseur d’orbites… Na !


Certes les humains inconscients avaient rejeté dans l’atmosphère des millions de tonnes de gaz carbonique, favorisant l’effet de serre. L’énergie nucléaire maîtrisée un siècle plus tôt n’avait pas été sans danger non plus : nombre de centrales avaient explosées, à cause de la négligence de ces inconscients qui pensaient tout savoir, tout maîtriser. Les radiations mortelles avaient fait des millions de victimes et, dans certaines régions, provoqué des naissances monstrueuses.

Daniel songeait à tout cela en contemplant sa ville pratiquement plongée dans le noir. Des mesures drastiques avaient été prises depuis deux ans afin d’enrayer la montée fulgurante de la température terrestre. Un peu tard, beaucoup trop tard, le processus était enclenché, irréversible, il faudrait des milliers d’années pour que tout redevienne normal. L’espèce humaine y survivrait-elle ?

En retournant se coucher, il jette un regard sur la photo en 3D, un hologramme que lui a offert Mélodie, sa fiancée. Ces hologrammes sont interdits, car trop voraces en énergie. Daniel n’en a cure, depuis le temps qu’il a averti le centre des catastrophes naturelles sur l’inéluctabilité des bouleversements à venir, ils auraient dû en tenir compte. Il passait à juste titre pour une sommité en matière de simulations, et ce malgré son jeune âge.

Sa main passe à quelques millimètres de l’image comme pour une caresse, le léger frémissement de l’air fait trembloter l’icône, puis tout redevient normal, le joli sourire se fige à nouveau.


- N’importe quoi ! Papa m’achètera la nouvelle console pour mon anniversaire, y’aura le ralentisseur d’orbites, et même l’écroûteur de noyau central ! Nananère…

- L’écroûteur ? AH AH AH ! L’ ECLATEUR, pas l’écroûteur, nunuche !


Ils ne se marieraient jamais. A quoi bon fonder un foyer, avoir des enfants qui ne survivraient pas ? Bon nombre de villes et villages avaient été engloutis, la mer remontait chaque jour davantage au gré des marées dans les estuaires. Le grand fleuve, celui qui arrosait sa ville, avait failli déborder et tout engloutir, il avait fallu construire des digues, afin de le contenir.

Daniel s’allonge, sachant que le sommeil ne viendra pas. Il prend un "Calmax" dans le tiroir de sa table de chevet, ferme les yeux et attend le sommeil…


Illéa pousse la manette de sa Playstation…

- Et voilà vingt degrés supplémentaires ! T’as vu, Iban, elle va fondre littéralement ta T856 pourrave !

- Eh ben tiens : explosion des chaînes volcaniques en série sur ta B 413 ! Elle est nase, elle est nase, disloquée, éparpillée… Stop ! J’ai gagné.

- Un partout, la balle au centre ! J’ai fait bouillir tous les océans de ta planète pourrie… Elle fume maintenant, et fumer c’est pas bon pour la santé !

-Vous n’avez pas fini de hurler comme ça !

La créature qui vient d’entrer, mesure en dimensions terrestres trois mètres cinquante. Assis à même le sol, deux bambins de deux mètres environ jouent avec leurs consoles, leurs petits tentacules agiles légèrement rosâtres courent sur le clavier et activent rapidement des petits leviers. Devant eux : un écran relié à un télescope électronique, on y aperçoit une petite planète située dans un tout petit système solaire à des milliers d’années-lumière. Cette petite planète est la troisième à partir de son étoile. Autrefois, elle était bleue.

- Vous avez ENCORE massacré une planète ! Et si elle était habitée, hein ?

- Voyons M’man, qui pourrait survivre sur un gros caillou rempli d’eau avec de l’azote et de l’oxygène dans l’atmosphère ?

- T’as raison mon chéri, s’attendrit la Maman en inspirant une profonde bouffée de monoxyde de carbone, tandis qu’elle fourrage nerveusement son orifice nasal avec l’un de ses nombreux tentacules.




P-S : au fait 48° 51’ 44’’ NORD - 2° 21’ 3’’ EST, ce sont les coordonnées de la rue Lafayette à Paris dans le Xème arrondissement… Là où je suis né.