Conte de Noël écrit à la plume d'oie
Par Saoul-Fifre, samedi 9 janvier 2010 à 00:01 :: Jus de cervelle :: #1282 :: rss
Förzrestala était une grande et belle oie des neiges qui habitait quelque part chez les Inuits, avec ses congénères, pas loin du cercle polaire. Elle était d'un naturel curieux et, à toujours observer autour d'elle, à se torturer le neurone, elle avait fini par se forger, si ce n'est une intelligence, le mot serait trop fort, disons : une espèce de philosophie palmipède doublée d'une mémoire tout à fait correcte.
Dès son premier automne, imitant en cela son troupeau soudain surexcité, elle mit les bouchées doubles, se jeta sur tout ce qu'elle trouvait de comestible, se gava littéralement. Un profond instinct la poussait mais elle ne savait pas que de ce baffrage goinfre dépendrait bientôt sa survie. Son corps était en train de stocker des réserves dans son foie, sous sa peau, pour pouvoir supporter la longue migration que son peuple entreprendrait dès la survenue des grands froids.
Ces provisions, ce chaud manteau, ces munitions, ai-je envie de dire, elle leur devrait sa capacité de résistance quand il s'agirait de lutter contre le froid et le manque d'oxygène à 6000 m d'altitude.
Par une belle journée ensoleillée, la troupe prit son envol, de la hauteur et mit le cap vers le sud avec une précision que certains oiseaulogues attribuent à un morceau de magnétite secrété par leur cerveau. Mais une chose est sûre, boussole ou pas, ce grand voyage de milliers de kilomètres n'est pas à la portée de toutes les ailes. C'est un véritable exploit sportif et nombreuses sont les oies mal préparées qui s'écraseront, mortes de froid ou de fatigue.
Förzrestala comptait anxieusement les dévissages en vrille de ses voisines, leurs arrêts cardiaques, leurs abandons et, claquant du bec et de froid, se lamentait :
- "L'oie est bornée, certes, le fait est connu mais tout de même ! Au lieu de rester sagement au sol, dans un coinstot bien protégé du vent, on se les gèle par - 20°C, à battre des ailes le bec face au blizzard, et sans paupières. Moi qui suis un peu frileuse des aisselles, en plus ? 'tain j'le crois pas : on vole vraiment sur le dos, là !"
Elle tint bon, pourtant, et fit partie des rescapées qui atterrirent sans casser du bois sur les rives du Saint Laurent. Il neigeait ici aussi. Et quand ça gelait, elles faisaient une drôle de gueule, "les zones marécageuses source d'approvisionnement" dont parlaient les écolos. Enfin bon, elle passa l'hiver au Canada et repartit au printemps dans sa "zone de nidification", chez les esquimaux, avec les autres blondes.
Mais ça lui triturait la comprenette, cette vie de fous, toujours entre deux valises. Elle avait parfaitement remarqué que la banquise n'était plus aussi étendue qu'avant. Et que quand la glace fond, c'est qu'elle chauffe. Elle était aux toutes premières loges pour pouvoir vraiment prendre conscience du mythique "réchauffement de la planète" et elle n'y manqua point.
Förzrestala se trouva un beau mâle qui lui plut malgré sa démarche "en dedans", mais faut bien avouer qu'elle avait la même. Il lui fit la poussière dans la spermathèque, une giclée de please, on frotte et on fait reluire ; elle leur pondit six œufs à la pureté de forme épatante et elle les couva si bien, tandis que son Jules débarrassait les alentours des gêneurs et mettait une option sur une aire à nourriture, que six beaux petits en sortirent et se mirent à se bourrer la panse, à bouffer comme des étazuniens. Il ne fallait pas trainer : dans deux mois, le gel et la froidure séviraient à nouveau sévèrement.
Quand la grande tribu à laquelle ils appartenaient se réunit pour le grand pow-wow de départ, Förzrestala attira sa famille à l'écart et quand il furent hors de vue des autres emplumés, elle s'envola et se percha devant une anfractuosité de la falaise. La petite smala suivit et elle leur expliqua qu'avec le dérèglement du climat, les hausses de températures, les réserves de graisse corporelle qu'ils s'étaient préparées, l'hivernage sur place devenait jouable et leur éviterait beaucoup de risques, de souffrance, et peut-être la mort.
- "Tu te rappelles, Jules, comme on s'est gelé les miches, pendant leur fucking migration ?"
- "Tu as raison, ma chérie, comme toujours..." répondit Jules, et les six enfants caquetèrent aussi leur approbation, en saluant l'intelligence "hors-norme" de leur reum. Ce départ vers l'inconnu ne leur disait rien qui vaille, alors que rester tranquilous là où ils étaient nés, oui, ils étaient "partants", si j'ose dire. Ils coururent visiter leur nouveau logis d'hiver et le trouvèrent cossu, avec des prestations haut de gamme. Dès que les grands froids s'invitèrent, un peu avant le solstice d'hiver, ils tombèrent tous les huit dans une espèce de coma cataleptique, comme les ours, mais la tête sous l'aile.
Sommeil dont ils se réveillèrent un couteau sur la gorge, car la vraie raison pour laquelle les oies des neiges se barraient de l'Arctique avant la Noël, c'est qu'elles savaient très bien que leurs voisins Inuits étaient friands à la folie de foies gras d'oie et qu'il valait mieux ne pas lambiner dans les parages. Les canadiens, eux, leur aménageaient des parcs ornithologiques où elles étaient en sécurité.
Il n'y avait que cette débile profonde de Förzrestala qui n'avait pas pigé ça.
On se serait d'ailleurs bien entendus, elle et moi.
J'ai toujours préféré le foie gras mi-Q.I.
Commentaires
1. Le samedi 9 janvier 2010 à 01:48, par Epaminondas
2. Le samedi 9 janvier 2010 à 08:40, par Tant-Bourrin
3. Le samedi 9 janvier 2010 à 11:06, par Andiamo
4. Le samedi 9 janvier 2010 à 11:51, par nathalie
5. Le samedi 9 janvier 2010 à 12:26, par françoise
6. Le samedi 9 janvier 2010 à 14:10, par Saoulfifre
7. Le samedi 9 janvier 2010 à 19:42, par Bof.
8. Le samedi 9 janvier 2010 à 19:52, par Cassandre
9. Le samedi 9 janvier 2010 à 22:34, par Dan
10. Le dimanche 10 janvier 2010 à 10:41, par Saoulfifre
11. Le dimanche 10 janvier 2010 à 19:03, par antenor
12. Le dimanche 10 janvier 2010 à 22:52, par Saoulfifre
13. Le dimanche 10 janvier 2010 à 23:34, par pousse manette
14. Le lundi 11 janvier 2010 à 06:49, par Yves
15. Le lundi 11 janvier 2010 à 08:07, par Saoulfifre
16. Le lundi 11 janvier 2010 à 11:56, par calune
17. Le lundi 11 janvier 2010 à 23:24, par Saoulfifre
18. Le mardi 12 janvier 2010 à 10:36, par Pascal
19. Le mardi 12 janvier 2010 à 13:23, par Saoulfifre
20. Le mardi 12 janvier 2010 à 14:38, par Anne
21. Le mardi 12 janvier 2010 à 14:42, par Saoulfifre
22. Le dimanche 24 janvier 2010 à 22:48, par mamzellekesskadie
23. Le mardi 26 janvier 2010 à 22:11, par Saoulfifre
24. Le dimanche 18 avril 2010 à 10:58, par gdblog
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