La rencontrer pour la première fois, c'est un peu comme n'avoir jamais vu la mer, même pas à la télé, et enfin l'atteindre. Ça fout un choc. Ça en a flanqué à plein de gens, ça m'a filé une sacrée décharge, d'entrée, et ça en fichera à plein d'autres encore, si j'en crois les réactions que je peux surprendre, moi qui suis à ses côtés, en position d'observateur privilégié.

Elle fascine, elle interroge, par son mutisme dense, compact, phase d'analyse devant l'inconnu, qui évoluera vers plus de chaleur humaine si vous avez la chance rare d'être passés indemnes au travers de ses cribles critiques. C'est son regard droit, profond, présent à la relation, qui parlera pour elle au début, son visage atypique qui éveillera votre curiosité, ses longs cheveux "blond vénitien", parait-il, qui fouetteront vos fantasmes le long d'ornières creusées par les femmes mythiques éternelles chevauchant leurs ondulations sauvages.

Elle a su garder au fond de ses yeux cette flamme de phare porteur d'espoir pour des nageurs épuisés en dérive, jouets de courants contraires ou victimes espérées par les récifs. Des hommes la croisent au plus près et prennent la position instinctive du chien d'arrêt, le regard interloqué, un peu de bave aux commissures, aux ordres de leur cochon intérieur. Je le connais bien, ce moment hors du temps et des normes en vogue, pour l'avoir vécu et revécu. Des hommes lui décrivent les sentiments vrais qu'ils éprouvent et l'histoire se répète, repiquant à l'envi ce sentiment de déjà-vu. D'autres restent muets, ne parvenant qu'à rouler dans leur âme infiniment un trouble hors du champ lexical.

N'avoir que l'embarras du choix : cocagne, mais son choix est essentiellement d'ordre temporel.

Ou bien c'est "Tout de suite !", tu me plais à condition qu'entre nous cela devienne "Plus jamais !"... Je te choisis étranger, nomade dans l'âme, avec ton billet de bateau ou d'avion dans la poche, sans bagages et sans mémoire, sans remords ni culpabilité...

Ou bien c'est "Pour toujours !", et dans ce cas là, j'ai besoin d'un temps de réflexion pour m'engager dans la durée. Je recherche, pour que ma petite entreprise ne sombre pas dans la crise, un amant, mais aussi le futur père de mes enfants, leur éducateur, mon co-retraité et, soyons triviaux, un côté animal, mais quand même cultivé, un jardinier, un affineur de fromages, un lécheur de timbres soigneux et un défricheur de garrigue.

Sans grand espoir, je présentai mon curriculum vitae. Je vins à tout hasard avec mon kama-soutra illustré par Dubout sous le bras. Après moultes tergiversations et une longue période d'essai, j'obtins enfin mon CDI.

Et depuis, je ne compte plus les regards torves et incrédules, tant masculins que féminins, que je suis obligé de supporter, et que je vous traduis à la louche ainsi :

- Mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ?!?!