Non pas Paul, rien à voir avec Paul, le célèbre peintre monochrome obsédé par le jaune à tel point qu'il popularisa une boisson pouvant vous foutre une jaunisse, ou plus précisément un ictère à bilirubine conjugué plus communément appelé "cirrhose"

Bon vous avez été sages, on a pas reçu plus de 20 spamms cette semaine, les trolls on a carrément oublié ce que c'était, allez hop, une petite gâterie (en tout bien tout honneur ho mon dieu qu'alliez-vous imaginer ?) par l'inoubliable Annie Cordy oui j'aime les artistes qui mettent leurs couilles sur la table et qui posent les vraies questions : pourquoi ce surnom de "six roses" ? Les exégètes les plus bourrés de compétences s'en arrachent encore les cheveux des années plus tard.

Non, le mien, de Ricard, s'appelait Arsène. C'était le dernier forgeron-réparateur de machines agricoles du coin et maintenant qu'il est mort on en a plus. Voilà mon billet est fini.

Snif Vé malgré mon chagrin je vais vous en dire un peu plus. Ricard c'était la terreur du monde agricole, il se mettait en pétard pour un rien, te collait un pain sur le tarbouif pour un mot de trop ou te lançait carrément à la figure le marteau-à-frapper-devant, enfin tout ce qui lui tombait sous la main au moment où il éprouvait un besoin urgent de te balancer quelque chose dessus. Valait mieux avoir un certain niveau dans l'art de l'esquive.

Alors les péquenots avaient pris l'habitude de lui envoyer leur femmes, espérant un peu plus de retenue et de respect devant des corps de mères. Erreur, grossière erreur car son imago maternelle était pourrave au dernier degré, je l'appris par la suite.

Et bien je ne suis pas peu fier d'avoir apprivoisé la brute, jusqu'à ce qu'on devienne, je ne sais pas si, avec une différence d'age entre nous de plus de 45 ans on peut utiliser ce mot, mais oui : amis. Déjà il était hyper compétent dans son boulot, m'a appris plein de ses secrets, j'avais une admiration palpable, palpitante pour lui.

Et puis il avait une histoire et j'adore les histoires qui trouvent leur dénouement par le haut, quels que soient les écueils et les vents contraires. Orphelin de père très jeune, sa mère se remaria assez vite et la relation du jeune Arsène avec son beau-père devint vite catastrophique. Le petit ayant du caractère (déjà !) la vie du foyer devint explosive et Ricard ne trouva que la fugue comme solution. Dix, onze ans peut-être... Il marcha, chaparda, dormit où il pouvait et un jour qu'il vagabondait dans une rue de Mallemort, il se fixa, fasciné, dans la position du chien d'arrêt, devant la porte d'un hangar à l'intérieur duquel un grand feu fouettait ses ombres et ses lumières mouvantes autour d'un bonhomme habillé de cuir qui cognait, se démenait, faisait vibrer la tôle, résonner l'acier à grands coups de marteau. Il resta là toute la journée, silencieux devant ces mystères qui le dépassaient, les énergies en jeu sans doute en affinité avec sa propre violence et avec sa colère, les yeux écarquillés. Le soir il était toujours dans la même position, hypnotisé, il venait de rencontrer sa vocation.

Le forgeron ferma son atelier et, ému par ce petit bout d'chou taciturne, le ramena manger et dormir chez lui. Les jours suivants, Ricard suivit son nouveau patron à la forge, balaya, surveilla le feu, courut chercher les pièces demandées et le forgeron, de son côté, se renseigna discrètement auprès de la maréchaussée sur l'identité de son fugueur, fit le voyage à Salon et proposa à la mère de prendre Arsène en apprentissage, ce qui fut fait, et qui arrangea tout le monde. De ce temps-là, Arsène fit une croix bien épaisse et bien opaque sur sa mère et son beau-père, il ne les a même pas invités à son mariage. Il finit sa formation chez son maitre providentiel, puis se mit à son compte après l'intermède du service militaire et de la guerre où on l'avait mis à ferrer "les mulets méchants" dont les autres maréchaux-ferrant ne voulaient pas. Puis il se maria avec une "Première rosière" de Salon-de-provence (l'équivalent de nos miss actuelles) dont la devanture avantageuse était une publicité vivante pour son corps de métier puisqu'elle livrait le lait cru fraichement trait, de porte en porte, avec son charreton plein de bidons.

Autant Arsène avait détesté sa mère, autant il a adoré sa femme qui était très gaie et qui savait le prendre par le bon bout.

Et puis vint le jour de ce coup de fil pour le moins inattendu :

- Vous êtes bien Arsène Ricard, votre mère s'appelle bien unetelle, née en ... ? Elle est à l'hôpital, elle n'a aucun revenu, en raison de l'obligation légale alimentaire due par les enfants aux parents, nous vous envoyons la facture...

Et voilà comment, à 75 ans, on se retrouve contraint d'héberger sa génitrice. Si Arsène avait tenté d'effacer sa mère de sa mémoire, de son histoire, de son amour, sa mère, elle, avait parfaitement réussi. L'infirmière a domicile lui dit :

- Vous avez vu comme votre fils est gentil ? Il vous a pris chez lui, il vous relève quand vous tombez, il vous porte...

Et la mère qui répond :

- J'ai pas d'fils, j'ai jamais eu d'fils !!!

La gueule que tirait l'Arsène !

Il a quand même fallu qu'ils se la coltinent quatre ou cinq ans, la grabataire, vu qu'elle s'est accrochée à la respiration jusqu'à presque cent ans. Madame Ricard bru est morte l'année suivante, sans doute épuisée par cet effort, c'était quand même elle qui supportait ses jérémiades en direct live à la maison ?

Le coup de Jarnac de la mère prodigue qui rapplique en fin de vie, la perte de sa femme qu'il adorait, Arsène a pas tenu le choc beaucoup plus que six mois et pourtant il était en pleine forme, il a travaillé jusqu'au dernier jour, on a essayé de lui changer les idées, de l'inviter à la maison, avec les gosses c'était toujours très gai, mais non, il s'est vraiment laissé mourir de chagrin.

Il m'avait dit :

Ya ma femme qui m'attend dans notre caveau, à Salon. Notre caveau, tu peux pas te tromper, c'est le seul qui n'a pas de croix !

Ah oui, ça me revient : sa mère l'avait mis en pension chez les sœurs, pour pouvoir faire sa vie tranquille...