Dans les années cinquante j'ai vu apparaître les premières voitures "populaires", celles que les ouvriers, les modestes employés, pouvaient enfin rêver d'acquérir. Jusque-là réservées à une élite (de rouge pour faire plaisir à Bof), l'auto c'était : "même pas en rêve" !

Et puis début des années cinquante, ma rue même pas goudronnée, encaillassée, parsemée de trous énormes, sans tout-à-l’égout, mais un "tout au caniveau", bien ! Sauf que l'été, bonjour la fragrance, ça schmouttait sévère dans les rigoles ! J'en avais tiré un ch'tiot billet d'ailleurs.

Dans cette rue, théâtre de nos jeux de gamins, tantôt grands espaces de l'ouest américain, ou champs de batailles dignes de celle d'Hasting, moi je l'aime bien celle-là, Guillaume le conquérant foutant une torchée aux rosbifs, ça me plaît bien !! Je ne les aime pas ? Ah vous l'aviez remarqué ?

Petit à petit, j'ai vu arriver, non pas des tractions avant 15 chevaux six cylindres comme la caisse de Chauguise, ni des frégates, encore moins des Cadillacs et autres Studebakers, mais bien sûr des quatre bœufs et des deuchs, la voiture du populo, enfin l'automobile se démocratisait, en même temps que commençaient à pousser d'étranges râteaux sur les toits des petits pavillons de MA banlieue.

Mes voisins, dont au sujet desquels j'vous ai déjà causé (j'ai été prof de français dans une autre vie) ont acquis au début années cinquante une quatre bœufs ! L'évènement, tu penses !

Cette famille bien d'chez nous, aurait dit le regretté Jean Nohain (vous n'avez pas connu "Jaboune" l'animateur de 36 chandelles ?), se composait : du père, de la mère, leur fils, un gamin formidable, qui possédait la collection complète de Tintin et Milou, la grand mère (une harengère) et le grand père, tous bien en chair ! Tout ce petit monde (enfin quand je dis petit, hein ?) s'entassait dans ce qui était le fleuron de la régie nationale.

Une galerie vissée sur le pavillon, afin de contenir les indispensables valdingues, biscotte le coffiot à l'avant quand tu y avais logé une brosse à dents, et un paquet de nouilles Rivoire et Carré, et bé il ne restait plus guère de place.

Imaginez-vous qu'à l'époque la quatre chevaux (chevaux fiscaux) ne possédait en fait que 17 chevaux réels ! Aujourd'hui la moindre caisse possède au moins 80 bourrins (j'ai pas dit Tant-Bourrins).

Alors je vous laisse imaginer pareil équipage dès la moindre côte ! Ah putain, fallait lui refroidir un bock à la tire arrivé en haut de la butte ! Elle transpirait sévère autant que la mémé à l'arrière, et mon pauvre petit copain coincé entre les énormes nichons de la mémé, et le fiacre opulent de pépé, oui mais c'est cette dure loi de la vie qui a fait ce que nous sommes aujourd'hui ! NAN j'déconne !

Mon copain Pierrot, un gaillard d'1 mètre 83, 86 kilos à l'époque s'était offert une 4 chevaux, alors : lui et sa femme à l'avant, leur minot à l'arrière, premières vacances : en voiture, direction Allevard les bains, magnifique petit bourg, situé dans le massif de Belledonne en Isère, entre Grenoble et Chambéry, à droite après la Porte d'Italie !

Imaginez la route de l'époque : pas d'autoroutes, traversée de toutes les villes , Sens, Auxerre, Avallon, et... Lyon, les premiers départs, des embouteillages monstrueux dans les grandes villes car pas adaptées du tout à la circulation automobile ! L'arrivée à Allevard après le col de l’Épine au dessus de Chambéry, pas de tunnels inaugurés seulement dans les années 80 ! Pierrot m'a raconté :

- Je suis arrivé, j'ai eu encore le courage de planter la tente, puis je me suis allongé à même le sol et j'ai roupillé !

Vous imaginez cette grande carcasse ? Pour entrer dans la voiture il lui fallait un chausse-pieds et un tube de vaseline, et le reste du tube pour en ressortir !

Ma première voiture a été une deuch. Je le confesse, je l'avoue, j'ai lâchement abandonné la moto, pour un maigre chauffage et des essuie-glaces !