La dernière fois (21 décembre) je vous décrivais une rentrée scolaire dans un collège de Jésuites en 1958. Le tout premier document qui nous était remis peu de temps après le jour de la rentrée, peut-être même le lendemain, était l'éphéméride du collège. Indispensable et précieux, commode et banal, il était interdit de ne pas posséder ce petit catalogue au format de poche et à la couverture bleue.

Ce carnet renfermait, dans un condensé saisissant, toute l'année scolaire à venir. On découvrait dans cet opuscule, non seulement le règlement intérieur et les grandes règles de vie (entendez de discipline) du Collège, mais aussi l'emploi du temps précis de chaque journée, de celle de la rentrée à celle de la distribution des prix en passant par les dates de toutes les compositions de l'année. Célébrations religieuses, pèlerinages, fêtes, jours fériés, de congé ou de vacances rompaient fréquemment la monotonie du temps composé de ce qui était appelé "les journées de règlement ordinaire".

Pour les "minots", une journée de règlement ordinaire c'était : 6 h 45 : Lever, 7 h. : Étude, 7 h 25 : Messe, 7 h 45 : Prière ou Communion, 8 h. : Déjeuner - Récréation, 8 h 25 : Rentrée des externes, 8 h 30 : Classes (mardi : une heure et demi de composition), 10 h 30 : Récréation, 11 h. : Étude ou classe, 12 h. : Dîner - Sortie des externes - Récréation, 13 h 25 : Rentrée des externes, 13 h 30 : Étude, 14 h 15 : Classe, 15 h 15 : Récréation, 15 h 30 : Classe, 16 h 30 : Récréation (goûter), 17 h. : Étude (deux dizaines de chapelet, lecture spirituelle), 19 h. : Sortie des externes et souper, 19 h 40 : Étude, 20 h 15 : Coucher. Je vous fais grâce des variantes de la période d'été, des jeudis et de la répétition de chant, des dimanches et jours de fête qui permettaient d'assister à la "Messe générale du Dimanche", à la "Messe de tout le Collège" ou à la "Messe de chaque division", et prévoyaient une étude de correspondance au cours de laquelle chaque pensionnaire devait obligatoirement écrire à ses parents.

Au début de l'année scolaire, ces "journées de règlement ordinaire" étaient très vite interrompues par une récollection qui servait de préliminaire à l'éducation religieuse que nous allions recevoir tout au long de l'année. Ainsi les éphémérides des années 58-59 décrivaient l'emploi du temps du mois de septembre de la manière suivante:

25 Jeudi

Rentrée des Pensionnaires.-

19 h 30: Souper.

20h30: Prière. Coucher.

26 Vendredi 7 h 15 Lever.-

7 h 45 Récréation.

7 h55 Rentrée des externes

8 h. MESSE DU SAINT-ESPRIT. Chant du Veni Creator.-Sermon.

9h. Petit déjeuner.- Récréation

9 h 45 Proclamation des classes.- Classe du Professeur titulaire.- Ramassage des devoirs de vacances.

10 h 45 Récréation.

11 h 15 Étude de correspondance.

- Le soir : Règl. ord.

17 h Devoir du professeur titulaire.

27 Samedi Règl. ordinaire.

28 Dimanche XVIII° DIMANCHE APRES LA PENTECOTE.

Règl. du Dimanche

20h30 Salut.

29 Lundi Récollection de rentrée.

30 Mardi Récollection de rentrée.

En jésuite, "retraite spirituelle" se dit "récollection". (n.f. Relig. Action de se recueillir.- de recollectus; pp. De recolligere, de colligere). Enfin, attendez vous à savoir que le catéchisme appris durant votre enfance est complètement dépassé et désuet, et ne représenterait guère qu'un grain de sable sur la plage de l'instruction religieuse dispensée par les Jésuites.

Quand, en 1539, Ignace de Loyola jeta les bases de son Ordre, il plaça parmi les activités de choix auxquelles devraient se livrer ses disciples, l'éducation religieuse des enfants et des illettrés. (Nous nous efforcions de ne faire partie que de la première catégorie.) Aussi notre règlement précisait-il que le manque d'application à une formation chrétienne solide, manifesté, par exemple, par des notes habituellement insuffisantes en Instruction religieuse, obligerait la Direction du Collège à demander aux parents d'orienter l'enfant vers un autre établissement.

Nos deux heures hebdomadaires d'instruction religieuse, qui constituaient la base de cette éducation, étaient par conséquent aussi importantes que n'importe quelle autre matière inscrite au programme. En fait, cette instruction se poursuivait tout au long de la journée, était une réalité de chaque instant. L'explication des sacrements, la lecture de l'ancien et du nouveau testament nous étaient rabâchées à chaque office, à tel point que sans les apprendre, nous finissions par connaître les moindres détails de chaque étape des voyages de Moïse ou des douze apôtres. Ces gens là se déplaçaient beaucoup et avaient une vie passionnante constellée de paraboles et de miracles.

Une messe était célébrée chaque matin dans une petite chapelle où la présence de tous était obligatoire à partir du sermon, ceci afin d'offrir à chacun le bonheur de communier tous les jours, pour peu que sa conscience l'y autorisa, et de pouvoir ainsi débuter sa journée dans la paix du Christ.

Il nous était loisible, naturellement, d'assister au Saint office depuis le début. Il fallait pour cela en informer le surveillant du dortoir la veille, afin qu'il vous secoue une demie heure avant les autres, et s'habiller rapidement, maladroitement et à tâtons, à la faible lueur des veilleuses.

Je n'ai jamais fait partie des "lève-tôt", préférant jouir des ultimes minutes de l'hospitalité d'un lit dont je ne m'extirpais péniblement que par crainte du pion. Il m'arrivait cependant de m'offrir ce luxe de piété, simplement pour le plaisir de rompre le rythme quotidien en échappant, ne serait ce qu'une demie heure, aux habitudes et horaires collectifs. Ces héliaques randonnées permettaient, en outre, d'éviter le supplice du jet d'eau glacé et d'évoluer seul dans des bâtiments silencieux où l'on ne se déplaçait habituellement qu'en colonnes par deux. Le meilleur moment, durant cette traversée du désert, était le couloir vert. Longeant une douzaine de salles de classes du premier étage qui reliaient les deux bâtiments latéraux du collège, et éclairé par un grand nombre de très hautes fenêtres, il était à la fois notre galerie des glaces et notre piste de vitesse. Toutefois, nous l'appelions ainsi, car il faut bien l'avouer, et je vous prie de bien vouloir m'en excuser par avance, il était vert. Les plus sportifs ont parcouru ses soixante mètres en sept secondes huit dixièmes, sans crampons. Bien que furtif, ce sentiment d'indépendance et de liberté valait bien l'ennui d'une messe intégrale.

C'est en effet l'ennui qui dominait pendant ces offices, dont le scénario immuable ne réservait guère de surprises. Au surplus, je ne me suis jamais demandé ce que voulaient dire les prières, lues dans le missel comme des formules impénétrables et opaques. Bien qu'étudiant le latin, je n'ai jamais eu la curiosité de les traduire, et quand bien même aurais-je eu la traduction sur la page d'en face, mon allergie aux langues mortes conjuguée à mon absence quasi totale de vocabulaire auraient anéanti toute velléité de ma part de rapprochement des deux textes.

Cette mise en train spirituelle n'était que le premier exercice religieux de la journée. Les Jésuites considérant la formation intellectuelle, toute brillante qu'elle dût être, comme la servante de la formation religieuse, les humanités devant en somme préparer l'élève au choix du meilleur genre de vie, la journée était émaillée de nombreuses prières. Elles étaient dites à l'intention des moins favorisés, mais devaient surtout profiter aux moins humanisés. Nous rendions grâce notamment au début et à la fin des repas, ainsi qu'à l'issue de la dernière étude, avant de se rendre dans les dortoirs.

Durant le mois de Mai, mois de Marie, cette prière du soir rassemblait les différentes divisions devant la grotte artificielle qui servait de toile de fond à la cour de récréation des moyens. Elle devenait alors une véritable cérémonie en l'hommage de la Très Sainte Vierge Marie, dont, soit dit en passant, j'avais fait ma confidente préférée. Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier. Je n'ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder. Vous regarder, savoir que je suis votre enfant et que vous êtes là. Rien que pour un moment, pendant que tout s'arrête. Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.

La semaine s'achevait par un salut au cours duquel nous remerciions le Créateur pour les joies et les peines dont Il nous avait gratifiés dans son immense Bonté, et l'implorions de nous aider à mieux faire la semaine suivante. Il n'était d'ailleurs pas le seul à être sollicité et l'interminable ressassement des "Priez pour nous" repris en chœur après chaque nom de Saint me résonne encore dans la tête.

Mais tout culminait avec cette retraite spirituelle de huit jours que nous faisions au seuil de chaque année scolaire. La récollection, c'était l'overdose de Saintes Écritures, le plein de chants grégoriens, de messes en grandes pompes et de sermons exotiques faits par des Pères missionnaires en permission.

Cette formation s'accompagnait d'un contrôle périodique des connaissances, notamment sous forme de questionnaires dont les réponses devaient être faites sur copies. A quoi ça sert de prier? Que penses-tu des spécialistes de la prière : carmélites, trappistes? Cite quelques contrefaçons de la prière... que penses-tu des cierges, des chaînes de prière, pèlerinages, chapelet, chemin de croix, bénédiction d'autos, etc. ? Connais-tu les consignes de Notre Seigneur sur la prière ? Relis Luc 11/8-10, Matthieu 7/21, Marc 11/25 ... en mettant un titre sur chacune de ces citations... Connais-tu dans la chanson moderne des chansons qui sont d'authentiques prières ? Quelles sont les différentes manières de prier ? Celles que tu préfères ?

Dans les premiers temps, ces lavages de cerveaux à la grâce divine avaient raison de nos jeunes esprits et nous suivions ces retraites avec de grands sentiments de piété, un soin extrême de ne point pécher et une vive crainte de Dieu. Avides d'engrais spirituel, la voix du prédicateur, aux profondeurs océanes, faisait courir le long de notre échine, le frisson sacré. Nous sortions de ces retraites pleins de bonnes intentions et de résolutions définitives, aveuglés par notre enthousiasme juvénile exacerbé qui nous en masquait le caractère utopique. L'illusion régnait en maîtresse dans nos crânes balayés par les vents de la passion. La Passion du Christ naturellement.

Plus tard, notre intérêt se porta davantage sur l'aspect touristique de ces échappées aux allures de voyages de classe. Nous remplacions la méditation par la visite de notre lieu de retraite et l'observation de ses occupants.