Bonjour,

Certes, le billet sur le groupe « Les Enfants Terribles » élaboré par Tant-Bourrin ne date pas d’hier, mais il a le mérite d’être toujours en ligne.

Quelle belle surprise de le découvrir aujourd’hui.

S’il est coutumier de dire que les poètes ne meurent jamais, pour ma part, j’en suis convaincu. Et je suis heureux qu’Alain Féral survive un peu plus grâce à vous.

Alain Féral était un univers à lui seul qu’il me fit partager par amitié. Un univers singulier alors que je travaillais au magazine « Salut Les Copains », une autre planète. Entrechoc des cultures. Richesse des rencontres.

Je dessinais. Lui aussi. Il avait beaucoup de talent.

Le groupe « Les Enfants Terribles » n’existait pas encore. Cependant, Alain composait déjà. Il venait chez moi, rue Choron, dans le neuvième arrondissement de Paris. Ainsi ai-je assisté aux premiers accords et à la naissance des premiers mots de « Désolée, regretté, je suis désolée de ne pouvoir… te voir… », chanson qu’il enregistra sur le premier 45 tours, une fois le groupe constitué. Ou, plus tard, J’ai peur de vivre, Wagner…

La nuit était particulièrement inspirante. Combien de fois avons-nous arpenté la rue Mouffetard dans le cinquième arrondissement de Paris ? Alain avait un faible pour la petite place de la Contrescarpe. Surtout lorsqu’elle était à nous seuls ou presque. Ambiance propice à refaire le monde et à échafauder les projets les plus fous.

En plus de quelques instruments de musique, je possédais un magnétophone à piles, ce qui n’était pas répandu à l’époque. Alors, divers groupes venaient répéter chez moi. C’était pratique car la rue Choron n’était pas très loin du Golf Drouot.

Alain enregistra ainsi plusieurs chansons ou bribes de chansons. Il s’agissait d’essais inachevés pour la plupart, car il faisait, refaisait, changeait un mot, un accord. Me demandait mon avis, jamais totalement satisfait. Je me souviens pourtant qu’il y avait une chanson sur « le diable » et « la magie » que je trouvais particulièrement forte.

Alain Féral aimait avoir aussi l’avis de René-Louis Lafforgue. Celui-ci tenait le cabaret « L’école buissonnière » rue de l’Arbalète à Paris. Un jour, nous lui avons porté la longue bande magnétique. C’était en 1966. Le drame, fut que René-Louis Lafforgue mourut dans un accident de la route quelques mois plus tard. Nous n’avons malheureusement jamais récupéré la bande.

Alain savait mettre en mots et en notes ses passions et ses colères aussi. Pour les dire, il est indéniable qu’il a su créer un style. Qu’ensuite, à l’écoute, les uns soient conquis et que d’autres soient moins sensibles, cela reste de l’intime et ne se discute pas.

Durant les vacances d’été de cette même année 1966, je travaillais avec Guy Béart sur les émissions « Bienvenue ». (Voir la pièce jointe)

Toutes les émissions qui furent diffusées à la télévision à la rentrée et courant 1967, furent enregistrées à ce moment-là mais les prises étaient dans les conditions du direct. Durant celle qui accueillait Elsa Triolet et Aragon, « Les Enfants Terribles » qui démarraient leur carrière y interprétèrent Wagner en avant-première. Alain Féral avait retravaillé les harmonies pour adapter la chanson à une interprétation de groupe. Qu’on se souvienne : Monsieur Wagner était fou

Monsieur Van Gogh était fou…

Mes soleils immenses ont une âme dont Wagner attise les flammes…

Mes gens, c’est de pauvres visages qui restent beaux même à la pluie…

Le matin même de leur prestation, Alain changea deux ou trois détails. Toujours ce besoin d’être totalement satisfait… enfin, jusqu’à la prochaine modification !

Voici un lien pour visionner cette émission :

Pour celles et ceux qui sont pressés ou impatients, « Les enfants Terribles » chantent à 23minutes et 28 secondes après le début de cette séquence qui contient quelques pépites.

Un soir, Alain et moi avons eu l’occasion de dîner en compagnie du navigateur Bernard Moitessier et de sa sœur. C’était après son record de la plus longue traversée à la voile et sans escale avec son célèbre bateau Joshua qui défia le cap Horn. Moitessier ne vivait que pour passer ses journées et ses nuits en mer. Passionné à la folie et homme passionnant, amoureux des océans et poète, il nous conta quelques-unes de ses savoureuses péripéties.

Rencontre inspirante : Alain Féral composa La Joshua, le bateau Joshua qui collait à la peau de Moitessier se mua en sirène fatale sous la plume d’Alain. Il avait tout saisi.

La mer ce soir a disparu

Ce marin fou l’a toute bue

Et dort en serrant dans ses bras

Le corps blanc de la Joshua

Du temps qu’elle se baignait là-bas…

On trouve ce titre sur le second album des « Enfants Terribles », avec Ouvrez la porte, Mater ego fuit, Femme va, Le bar du perroquet vert, On l’appelle Madame, Que je vis, Le chemin Bleu, Deux gouttes d’eau, Ah !... ces enfants terribles.

Malheureusement, plus tard, Alain eut un accident vasculaire cérébral. Il ne retrouva pas sa diction limpide et claire. Cela n’empêchait pas son brillant cerveau d’être toujours en activité.

Ce bout de chemin avec Alain Féral m’a apporté à vie et je suis heureux de constater au travers de tous les commentaires que vous avez reçus que son œuvre reste intensément présente.

Merci à vous.

Bien cordialement.

Michel Bourdais