Ces cons de jeunes ! Ils ne pensent qu'à niquer. Cette année, les couvées ayant bien marché, je me retrouve envahi de volaille, mais ça, je vous l'ai déjà dit , je crois ? Et il y avait une très nette dominante de mâles, parmi les poussins. C'est précoce, ces petites bêtes-là, ils mettent très vite leurs signes extérieurs de masculinité en évidence.

Leur beau plumage. Oui, chez les gallinacés, ce sont les hommes qui sont coquets, adorent les couleurs vives et se ruinent en fringues. Leurs compagnes arborent un aspect modeste et discret qui n'est pas sans me rappeler celui de ma mère, qui ne quittait pas de toute la sainte journée sa blouse informe ras de cou en nylon bleu marine délavé. Vous l'avez compris : mes poules ne s'habillent pas comme des poules. Pas de ça chez moi.

Leur crête, leurs barbillons, leurs oreillons. Enfin, tous ces trucs rouges et plus ou moins turgescents qu'ils ont sur la tête. Plus c'est rouge foncé, plus ils ont le caractère sanguin. J'en ai 2 qui ont la triple crête, ce sont les plus vindicatifs.

Leurs ergots. Eux sont trop jeunes pour en avoir, ça ne pousse que vers un ou deux ans. C'est un résidu d'un cinquième doigt, placé très haut sur la patte, dirigé vers l'arrière, autant dire qu'il ne sert à rien. Mais il est muni d'un ongle, qui pousse et qui peut atteindre des dimensions respectables, qui est du plus bel effet. C'est la première chose que regarde une poule, quand elle repère un coq.

Et puis leur comportement. Très sexué. Leur méthode de séduction est primaire, ils abordent leur sœur, leur mère, leur tante, leur grand-mère, enfin tout ce qui ne porte pas la bonne grosse crête des familles, en lui disant : "Je ne suis qu'un zob, cédez !", et il lui saute sur le dos, sans plus de préliminaires. Les frèrots, pressentant la vieille histoire de cul bien sympathique, bien incestueuse, bien chaudasse, rappliquent aussitôt et sautent eux aussi sur la malheureuse. Un peu pour aider, et beaucoup pour en profiter, si possible. En principe, à cet instant, le patriarche arrive, attiré par le boucan. Il a encore un peu d'autorité, il a des ergots, lui, il a juste à s'approcher, à donner un petit coup de bec, peut-être, et la bande de jeunes à eux tout seuls s'égaille. Le chef incontesté, auréolé de son charisme, prend alors noblement et calmement la place abandonnée par les petits cons et honore sans se presser la poulette soumise. Lui, il a le droit.

Ça, c'est la théorie. Car, en pratique, ces jeunes cons n'arrêtent pas de la journée. Ils ne pensent qu'à tremper leur zgueigue ! Tout le temps. Manger, ils s'en foutent. Par contre, ils aiment bien l'heure où je lance le grain parce que ça fait rappliquer les poules qui avaient réussi à trouver un coin tranquille. L'heure de la cantine, c'est l'heure où qu'on pine, pour eux. Ce sont des obsédés, des monomaniaques, ils sont maigres, ils ont les yeux injectés de sang, la crête prête à exploser, ils n'éjaculent plus que du sucre en poudre, mais ils veulent encore saupoudrer ! Les poules sont saturées, dès qu'elles voient un mâle, elles poussent un cri horrifié, s'étranglent d'angoisse et prennent leurs pattes à leur cou. Un truc à peu près efficace, pour celles qui savent voler, c'est de se percher. Mais il y a des coquelets que l'idée d'une position acrobatique coquine à la barre fixe n'effraie pas le moins du monde. Enfin, confrontées à ces instincts musclés, ayant abondamment fait leurs preuves durant des périodes pluri-millénaires, les filles ont beaucoup de mal à éviter la casserole. Et surtout la queue de la casserole.

Bon, ces excités de petits coqs manquent totalement de romantisme, c'est un fait, mais mettez-vous à leur place ? Vous avez déjà vu une poule ? Vous avez remarqué qu'elle passe sa vie le nez au ras de la moquette, faisant semblant de chercher quelque chose par terre ? Et ses fesses volumineuses, tendues vers le plafond ? Et le croupion frétillant ? Hein ? Elle les cherche. Ha ben si, elle les cherche quand même un peu, faut pas exagérer... Elle a une queue, elle pourrait s'en servir comme d'une petite jupette pour cacher tout ça, mais bernique... Bon, je ne me pose pas en moraliste de poulailler, hein, mais je trouve juste mes poules stressées, d'ici à ce qu'elles me pondent des œufs en forme de cigares, il n'y a pas loin. Alors l'autre nuit, j'ai embauché Margotte et on est allé faire une razzia nocturne avec discrimination sexuelle : neuf coqs en prison tout confort pour qu'ils engraissent avant le sacrifice. Nourriture à volonté, parcours herbeux, elle est pas belle la vie ? Non, elle est pas belle. Il y manque désormais la poule, sa plus belle parure, son Alpha et son Oméga, son zénith, sa raison d'être...

...alors, ils se grimpent dessus entre eux. C'est ça aussi, la prison.

Mais surtout qu'ils ne se plaignent pas ! Pour leurs nombreux crimes avec préméditation, absence totale de remords et désir forcené de recommencer, j'aurais pu les condamner à la castration chirurgicale et en faire des chapons !