Houlà, ça va pas du tout en ce moment, moi ! Je sais pas ce qui se passe, une distorsion dans l'espace-temps, ou quoi, mais c'est sûr qu'il y a du bug dans le continuum. Bon, si je sors de chez moi et que je marche du pied gauche dans la merde, je vais pas interpréter ça comme un signe de chance, ni accuser d'improbables ennemis de vouloir me faire casser une jambe ? Je vis à la cambrousse et ce genre d'événements fait partie du déroulement normal de mes journées. C'est plutôt si ça ne m'arrive pas que je me pose des questions.

Mais quand je surfe sur Internet ? C'est du virtuel, certes, mais du virtuel répondant à des normes établies par des gens sérieux. Je clique par exemple sur un lien. Ça se passe chez Matthieu pour ne pas le nommer. Avec Matthieu, on travaille en confiance : si il nous promet une blague de blonde inénarrable à se taper le cul par terre, on fonce. Si on se retrouve face au vide, avec la mer 150 m plus bas, on saute, comme Johny Weismuller qui ne veut pas perdre la face devant la jolie sauvageonne qu'il espère bien voir toute mouillée autrement que par le lagon... Enfin, je clique, quoi...? Et je me retrouve chez Elisabeth. Ça, c'est la magie d'Internet. Les tapis volants. La lampe qu'on frotte pour la faire briller. Le génie sans mollir. Et Elisabeth qui tient à toute force à nous raconter son histoire de blonde, hilarante au point que son seul souvenir la relance dans des fous-rires irrépressibles. La même ? Une autre ? Le suspense est trop dense, le ressort du moteur romanesque trop tendu, je re-clique comme un zombie pour vérifier et je me retrouve, non là, je deviens fou : les écossais ont décidé de venger Marie Stuart et ont mis des extas dans leurs whiskies d'exportation ?? Je me retrouve chez Matthieu, au point de départ ! Bon, pourquoi pas, la séquence informatique va peut-être se calmer d'elle-même après quelques tours d'accélérateur de particules ? Je re-re-clique précautionneusement là où ils disent que la ? les ? blond jokes sont stockées, et là, nouveau saut dans l'inconnu, j'avais pourtant appuyé avec beaucoup de douceur sur ma souris : je me retrouve chez... Audalie ! Une blonde foncée qui se moque des blondes claires. Le monde n'est pas complètement à l'envers, mais penche fortement ! La solidarnosc sombre dans l'océano nosc... Et, du coup, les bribes de rationalité qui habillaient de haillons ma nudité scientifique avouée, titaniquèrent également.

Je cliquais dorénavant telle une grenouille dont on a sectionné le rachis, en mouvements déconnectés des centres décisionnels. Les sites défilaient, s'enfilaient, se refilaient des blagues épatantes, inouïes. Des blogueurs se pissaient dessus, sans pouvoir se retenir. Les Dieux buvaient les pleurs, la bave, la sueur des rieurs, dans les crânes vides, léchés, raclés, parfaitement récurés des blondes Walkyries. Des milliards de sarcasmes, en anciens francs, combien cela pouvait-il faire ? s'accumulaient, se renvoyaient des échos, les boules de sourires s'obèsifiaient, déclenchant des avalanches de rires...

Une éternité plus tard, ma main engourdie clique mécaniquement encore une fois. La mâchoire crispée sur un rictus moqueur, les yeux délavés d'avoir pleuré de rire à jet continu, je reconnus le bandeau de couleur "bleu UMP" des analectes.

Cette eau, ces fauteuils de plage,
Si bleus, si calmes...
On croirait que le maître nage,
Masque et palmes...

Je me mis à lire le billet du jour. Enfin, du jour ? Le billet, quoi, le billet si souvent attendu, espéré, quelquefois de longs jours, de trop longs jours... Il n'était plus question de blagues de blondes. Combien de temps avais-je erré dans cette toile onirique inextricable ? Rejetant de mon esprit embrouillé cette question idiote à laquelle je n'aurai sans doute jamais de réponse, je continuai ma lecture. Regard interrogatif vers le bandeau. Regard dubitatif vers le billet. Bandeau. Billet. Bandeau. Putain de billet : il y était question de journal télévisé. Elisabeth qui parle de télé, et en plus, des infos ! Mon peu de lucidité résiduelle me permit d'appréhender au vol une explication réaliste : des extra-terrestres étaient en train de prendre possession de ce qu'il restait de mon cerveau par télépathie. Ils envisageaient d'envahir la Terre et m'avaient choisi comme Bêta-testeur de l'efficacité de leur technique de propagande absolue, par inversion sémantique subliminale, dans les blogs mythiques, ceux lus par la quasi-totalité de la blogosphère.

Je secouai vigoureusement la tête, et par là-même, l'emprise hypnotique de ce peuple que je subodorais laid et dépourvu d'humour. Je venais de repousser l'attaque la plus dangereuse du siècle, qui, sans moi, aurait bien failli finir juste après avoir commencé.

Les deux pieds à nouveau fermement ancrés dans le réel, je réexaminai attentivement mon écran. Euréka-bon-sang-mais-c'est-bien-sûr ! Le sujet, le style, ce billet était dû à la plume de Matthieu.

Mais avec le bandeau des Analectes.

Pfou, je suis crevé, moi. Je sens que je vais pas tarder à aller faire dormir les yeux.