Vinaï II
Par Saoul-Fifre, jeudi 28 septembre 2006 à 00:08 :: La vraie vie :: #464 :: rss
Ce soir j'ai pas plus d'idée de billet que de poils sous les bras et de valises sous les yeux le jour de ma naissance. Autant dire peu. Alors je vais foutre la frousse à Matthieu en vous racontant mon week-end dans un bled paumé de chez isolé. D'ailleurs la commune mitoyenne (mais il faut passer une frontière et changer de pays) s'appelle Isola, je n'invente rien. Isola, l'ami Georges a insisté pour nous y faire monter. On était dans un putain de brouillard, enfin, dans un brouillard, on y voit un peu mais là, on barbotait plutôt dans une soupe de pois cassés froide et Monsieur voulait en sortir par le haut, émerger du nuage, se la jouer Saint-Exupéry, le courrier meurt mais se rend à l'adresse indiquée... Résultat : trempés jusqu'aux os par le brouillard, t'as déjà vu ça ? On a rien vu. Sur un panneau touristique, il y avait un poème à la gloire de Fausto Copi. Il fallait se mettre à 10 cm pour le lire. À un moment, notre hôte, tout fier de nous faire visiter sa belle région d'origine, nous dit :
- Regardez le lac !
- Quel lac ?
Ha effectivement, en s'accroupissant, on pouvait entr'apercevoir qu'il y avait de l'eau juste à nos pieds. Heureusement qu'il nous a prévenu, on allait glisser dedans ! Ha la beauté surnaturelle d'un lac de montagne ourlé de sa brume diaphane... Bon, passons. Le retour en bagnole fut stressant. On ne savait pas si on était à droite ou à gauche de la route, mais on savait qu'elle était bordée de précipices. D'aucuns exprimaient avec force leur motivation à terminer les 30 bornes restantes à pied. Les phares d'un camion s'allumèrent brusquement droit devant. Il nous esquiva avec élégance sur notre droite. Nos repères spatiaux se précisaient : nous mordions légèrement beaucoup sur la voie adverse et le précipice était donc un poil supplémentaire à notre gauche puisque le camion n'était pas tombé dedans. Après ce bref instant de folie britannique, nous tînmes le plus possible notre droite. Nous dûmes guetter pendant 15 kilomètres "un chemin sur la gauche", pour aller rendre visite à un membre de la famille. Georges avait du mal à nous aider dans notre recherche car la dernière fois qu'il avait vu sa cousine remontait à 10 ans et il faisait nuit. Après être passé 3 fois devant, nous en primes un au hasard et il se trouva que c'était le bon. Le bon vrai gros bien dilaté trou du cul du monde. La ferme d'alpage estival du berger et de sa famille. La saison se terminait, d'ailleurs. Le troupeau de 200 vaches redescendait lundi dans la vallée pour prendre ses quartiers d'hiver, avant les premières neiges. Nous allions rater ce spectacle hallucinant que la cousine nous décrivait avec ses mots émouvants :
- Quand je leur accroche la cloche du retour, mes vaches, on dirait des personnes. Elles savent. Elles sont contentes de revenir au village...
Bien qu'avec ce brouillard opaque à la con, le spectacle eut été surtout olfactif et auditif ? Enfin, à un jour près, nous sommes passé à côté de cette déshumance bovine. Pour nous consoler, nous lui avons vidé son stock de fromages et de saucissons, à des tarifs carrément tiers-mondistes d'avant-guerre, et l'avons écouté nous raconter sa vie ici, dans un français lettré et sans accent. C'est une turbine branchée sur une canalisation forcée, alimentée par une source, qui leur fournit l'électricité qui fait trembloter la lumière de l'ampoule, tourner le compresseur du frigo et la machine à traire. Elle est la seule femme ici, à s'occuper de son mari, de toute l'équipe de bergers, de la fabrication des fromages, des cochons, de la vente aux touristes, et comme cela lui laisse visiblement un max de temps libre, elle fait gîte rural et reçoit des bandes de 10, 12 enfants citadins ! Farniente est un mot d'origine italienne.
Le matin également, avec les bancs de brume au fond des vallées, il fallait aiguiser son regard pour voir les cèpes pointer sous les feuilles. La température frisquette, en revanche, rendait la montée vers le fort, fort agréable. J'ai déjà parlé de la beauté de l'utile. La richesse végétale de ce vallon me comblait de ses fruits : châtaignes, noix, noisettes, les plus gros cynhorodons que j'ai jamais vu, et des champignons, bien sûr. Cerise sur le gâteau : nul insecte et son cortège d'agaceries car le coin regorgeait de belles amanites tue-mouches, dans leurs robes rouges à pois blancs.
Une éclaircie inattendue me permit de prendre quelques photos non sépias, et nous pique-niquâmes en tout bien tout honneur sous l'église dédiée à Santa Anna dont la spécialité est la protection rapprochée des gros bourrins à la vue basse et à la vitesse excessive. Efficacité corroborée et prouvée statistiquement par les 2 murs d'abside de l'église couverts d'ex-votos jusqu'au plafond. Le fait qu'on ressorte indemne d'un accident de vélo contre un arbre ne me subjugue pas vraiment, ça m'est arrivé plus d'une fois, mais cela montre simplement que toute l'aide que nous prodigue Santa-Anna n'est pas encore répertoriée de manière exhaustive.
En attendant les filles (comment venir en Italie sans prendre le temps de renouveler bottes et bottines de ce cuir inégalé ?) nous préparons les braises avec un fagot de mort-bois glané en faisant les champignons, faisons chauffer la fine lauze et y faisons griller diverses saucisses. Salades, gros rouge qui tache pour nous, Champagne pour les filles, puis petite sieste bien méritée, le tout en se repassant les jumelles pour regarder et entendre les marmottes s'amuser, siffler et se goinfrer avant de plonger dans leur long sommeil hibernal.
Le soir, après cette sombre et désastreuse virée au cœur du gigantesque cumulo-nimbus qui englobait tous les sommets des Alpes du Sud, nos guides agréés nous emmenèrent dans un resto tenu par 2 frères guides de chasse en montagne. Onze plats. Sans compter le café-Fernet-Branca de Georges, ni mon café-génépi. Avec une soupe d'un autre monde, des herbes de montagne, du cerf, des cèpes en papillotes, de la polenta avec des tas de viandes, de sauces, des fromages qui cherchaient à s'échapper, des gâteaux qui croulaient sous la crême...
Et pour faire glisser tout ça, des cascades de leur vin pétillant juste ce qu'il faut...
Commentaires
1. Le jeudi 28 septembre 2006 à 06:18, par antenor
2. Le jeudi 28 septembre 2006 à 07:10, par Pascal
3. Le jeudi 28 septembre 2006 à 07:19, par Martine
4. Le jeudi 28 septembre 2006 à 07:32, par Tant-Bourrin
5. Le jeudi 28 septembre 2006 à 07:37, par yves
6. Le jeudi 28 septembre 2006 à 08:01, par bakemono
7. Le jeudi 28 septembre 2006 à 08:05, par nathalie
8. Le jeudi 28 septembre 2006 à 08:41, par mamascha
9. Le jeudi 28 septembre 2006 à 08:42, par Byalpel
10. Le jeudi 28 septembre 2006 à 08:51, par matthieu
11. Le jeudi 28 septembre 2006 à 09:50, par Cassandre
12. Le jeudi 28 septembre 2006 à 10:48, par Anne
13. Le jeudi 28 septembre 2006 à 11:11, par Manou
14. Le jeudi 28 septembre 2006 à 12:34, par Byalpel
15. Le jeudi 28 septembre 2006 à 12:56, par Saoul-fifre
16. Le jeudi 28 septembre 2006 à 14:10, par Yves
17. Le jeudi 28 septembre 2006 à 20:17, par Saoul-fifre
18. Le jeudi 28 septembre 2006 à 21:01, par Bof...etc.
19. Le jeudi 28 septembre 2006 à 21:29, par Saoul-fifre
20. Le jeudi 28 septembre 2006 à 23:32, par Dan
21. Le mardi 14 octobre 2008 à 17:51, par Andiamo
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